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Quelqu’un ajouta à ce que M. le Brun venoit de dire, que si, par les règles du théâtre, il est permis aux poètes de joindre ensemble plusieurs événements arrivés en divers temps pour en faire une seule action, pourvu qu’il n’y ait rien qui se contrarie, et que la vraisemblance y soit exactement observée, il est encore bien plus juste que les peintres prennent cette licence, puisque sans cela leurs ouvrages demeureroient privés de ce qui en rend la composition plus admirable et fait connoître davantage la beauté du génie de leur auteur. Que dans cette rencontre l’on ne pouvoit pas accuser M. Poussin d’avoir mis dans son tableau aucune chose qui empêche l’unité d’action, et qui ne soit vraisemblable, n’y ayant rien qui ne concoure à représenter un même sujet. Quoiqu’il n’ait pas entièrement suivi le texte de l’Écriture sainte, l’on ne peut pas dire pour cela qu’il se soit trop éloigné de la vérité de l’histoire, car, s’il a voulu suivre celle de Josèphe, l’on voit que cet auteur rapporte que, les Juifs ayant reçu les cailles, Moïse pria Dieu qu’il leur envoyât encore une autre nourriture ; et que, levant les mains en haut, il tomba du ciel comme des gouttes de rosée qui grossissoient à vue d’œil, et que le peuple pensoit être de la neige ; mais, en ayant tous goûté, ils connurent que c’étoit une viande qui leur étoit envoyée du ciel, de sorte que les matins ils alloient dans la campagne en prendre leur provision pour la journée seulement[1].

Pour ce qui est d’avoir représenté des personnes, dont les unes sont dans la misère pendant que les autres reçoivent du soulagement, c’est en quoi ce savant peintre a montré qu’il étoit un véritable poète, ayant composé son ouvrage dans les règles que l’art de la poésie veut qu’on observe aux pièces de théâtre ; car, pour représenter parfaitement l’histoire qu’il traite, il avoit besoin des parties nécessaires à un poème, afin de passer de l’infortune au bonheur. C’est pourquoi l’on voit que ces groupes de figures, qui font diverses actions, sont comme autant d’épisodes qui servent à ce que l’on nomme péripéties, et de moyens pour faire connoître le changement arrivé aux Israélites quand ils sortent d’une extrême misère, et qu’ils rentrent dans un état plus heureux. Ainsi leur infortune

  1. Antiq. Jud., lib. III, chap. i.