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cet ouvrage, et très nécessaires à ceux qui veulent se perfectionner dans la peinture.

Il y eut quelqu’un qui dit qu’il y avoit dans ce tableau tant de choses dignes d’être admirées, et qui le rendoient recommandable, qu’on ne pouvoit lui faire aucun tort, quelque chose qu’on cherchât à y reprendre. Qu’aussi on ne devoit pas croire que ce fût pour en diminuer l’estime, s’il s’avançoit de dire qu’il lui sembloit que M. Poussin ayant été si exact à ne vouloir rien omettre de toutes les circonstances nécessaires dans la composition d’une histoire, il n’a pas néanmoins fait dans ce tableau une image assez ressemblante à ce qui se passa au désert, lorsque Dieu y fit tomber la manne ; puisqu’il l’a représentée comme si c’eût été de jour et à la vue des Israélites, ce qui est contre le texte de l’Écriture, qui porte qu’ils la trouvoient le matin répandue aux environs du camp comme une rosée qu’ils alloient ramasser[1]. De plus, qu’il trouvoit que cette grande nécessité et cette extrême misère qu’il a marquée par cette femme qui est contrainte de téter sa propre fille, ne convient pas au temps de l’action qu’il figure, puisque, quand la manne tomba dans le désert, le peuple avoit déjà été secouru par les cailles, qui avoient été suffisantes pour apaiser la plus grande famine, et pour les tirer d’une nécessité aussi pressante qu’est celle que le peintre fait voir.

Que pour faire une véritable représentation de la récolte que le peuple fit de la manne lorsqu’elle lui fut envoyée du ciel, il n’étoit pas nécessaire de peindre des gens dans une si grande langueur, et moins encore de faire tomber cette viande miraculeuse de la même sorte que tombe la neige, puisqu’on la trouvoit tous les matins sur terre comme une rosée.

À cela M. le Brun repartit qu’il n’en est pas de la peinture comme de l’histoire. Qu’un historien se fait entendre par un arrangement de paroles et une suite de discours qui forme une image des choses qu’il veut dire, et représente successivement telle action qu’il lui plaît. Mais le peintre n’ayant qu’un instant dans lequel il doit prendre la chose qu’il veut figurer, pour représenter ce qui s’est passé dans ce moment-là, il est quelquefois nécessaire qu’il joigne ensemble beaucoup d’inci-

  1. Exode, chap. xvi.