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Qu’il y a dans cet ouvrage plusieurs parties qui mériteroient bien d’être examinées, mais que, laissant à part celles de l’ordonnance et du dessin, il s’arrêteroit seulement à l’expression des figures, et à remarquer de quelle sorte Titien s’est conduit dans la distribution des couleurs et des lumières, en quoi on peut dire qu’il a excellé et même surpassé les autres peintres.

Comme la figure du Christ est la principale du tableau, et à laquelle toutes les autres ont relation, M. de Champaigne fit voir que tout ce qui devoit paroître dans un corps mort se rencontre parfaitement peint dans celui-ci ; qu’on y voit une chute et une pesanteur dans tous les membres, que la privation du sang et de la vie rendent pâles et livides, en sorte que la chair et les veines, les muscles et les nerfs, qui dans un corps vivant marquent de la fermeté et de la rondeur, paroissent dans celui-ci mous, enfoncés et aplatis.

Il fit remarquer ensuite de quelle manière le corps du Christ est disposé dans ce tableau. Que, les jambes et les pieds se présentant les premiers, et la tête et les épaules étant plus éloignées, Titien a supposé que l’ombre d’un de ceux qui portent ce corps en couvre une partie, et particulièrement le visage, afin de faire fuir la tête et avancer les jambes ; pour imprimer davantage sur ce corps les marques de la mort, dont l’ombre et les ténèbres sont une véritable image ; et pour faire en sorte que dans l’obscurité des couleurs on y vît moins la face adorable du Sauveur du monde qui ne paroît plus avec ces beautés, qui le faisoient considérer durant sa vie comme le plus beau de tous les hommes.

Il fit observer que si ce corps ressemble bien à un corps dépourvu de sang et de vie, les figures qui le portent font voir par leurs actions et par la couleur de leur chair combien elles sont animées, et la peine qu’elles ont à soutenir la pesanteur de ce corps.

Saint Jean est derrière qui le lève par-dessous les épaules, et les deux autres disciples sont aux deux côtés qui soutiennent le reste ; il y a un de ces disciples dont le vêtement est d’une laque fort claire et fort vive ; mais, comme cet habit est retroussé, on en voit la doublure qui est de couleurs changeantes de vert et de rouge. Cette figure a une espèce d’écharpe