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d’amérique sur l’europe.

être, sans la révolution d’Amérique ; elle le deviendra sans doute, mais plus tard : et d’ailleurs les Anglais auraient sûrement regardé la conquête de ces îles comme très-importante, et il n’est pas vraisemblable que les Américains aient jamais la même idée ; ils sentent qu’il importe à leur liberté, à la conservation de leurs droits, de ne pas avoir de sujets ; ils ne peuvent désirer d’avoir loin d’eux des alliés faibles et difficiles à défendre ; et les Européens seuls, par une conduite imprudente, pourraient leur inspirer le désir de faire cette conquête. C’est ce qu’a senti le ministère de France, et s’il s’est empressé d’ouvrir ses colonies aux Américains, cette opération, juste en elle-même, nécessaire à la prospérité, presque à l’existence des colonies, a été en même temps dictée par une politique sage et prévoyante.

Les Américains serviront encore à maintenir la paix en Europe par l’influence de leur exemple. Dans l’Ancien Monde quelques philosophes éloquents, et surtout Voltaire, se sont élevés contre l’injustice, l’absurdité de la guerre ; mais à peine ont-ils pu y adoucir, à quelques égards, la fureur martiale. Cette foule immense d’hommes qui ne peuvent attendre de gloire et de fortune que par le massacre, ont insulté à leur zèle, et l’on répétait dans les livres, dans les camps, dans les cours, qu’il n’y avait plus ni patriotisme, ni vertu, depuis qu’une abominable philosophie avait voulu épargner le sang humain.

Mais, dans l’Amérique, ces mêmes opinions pacifiques sont celles d’un grand peuple, d’un peuple brave qui a su défendre ses foyers et briser ses fers. Toute