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d’amérique sur l’europe.

de plusieurs nations de l’Europe, où les subalternes sont jugés sur les mémoires secrets de leurs chefs, condamnés sans avoir été entendus, punis sans avoir pu se défendre, où c’est un nouveau crime de demander à prouver son innocence, et un crime bien plus grand encore d’imprimer qu’on n’est point coupable. Il faut cependant l’avouer, ce n’est pas à la corruption, à une injustice réfléchie, à une dureté tyrannique, qu’il faut attribuer ce système d’oppression secrète qui viole à la fois les droits des citoyens et ceux des nations : c’est encore moins à la nécessité, car il est, à la fois, aussi inutile, aussi dangereux pour la discipline, pour la sûreté de l’État, qu’il peut être injuste. Que faut-il donc en accuser ? Hélas ! c’est seulement cette ignorance invincible du droit naturel qui excuse du péché ; et l’exemple d’un peuple libre, mais soumis avec docilité aux lois militaires comme aux lois civiles, aura sans doute le pouvoir de nous en guérir.

Le spectacle de l’égalité qui règne dans les États-Unis, et qui en assure la paix et la prospérité, peut aussi être utile à l’Europe. Nous n’y croyons plus, à la vérité, que la nature ait divisé la race humaine en trois ou quatre ordres, comme la classe des Solipèdes, et qu’un de ces ordres y soit aussi condamné à travailler beaucoup et à peu manger. On nous a tant parlé des avantages du commerce et de la circulation, que le noble commence à regarder un banquier et un commerçant presque comme son égal, pourvu qu’il soit très-riche ; mais notre philosophie ne va pas plus loin, et nous imprimions encore, il