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pas sa faute. Avant le 13 septembre 1774, on n’avait point encore daigné traiter le peuple comme une société d’êtres raisonnables : abandonné à des charlatans de toute espèce, jamais on n’avait songé à lui donner sur rien des idées justes, des notions précises. Est-il étonnant, après cela, qu’il se laisse entraîner aux plus grossières apparences, qu’il soit la dupe de l’artifice ? Mais les erreurs de l’ignorance sont plus aisées à détruire que celles de l’intérêt et de l’orgueil ; et voilà pourquoi je crois que le peuple sera guéri de ses fausses opinions sur le commerce des blés, longtemps avant les hommes les plus éclairés qui partagent ses préjugés. S’il n’est pas en état de saisir des preuves compliquées, quelques années d’expérience, la confiance dans le gouvernement, fortifiée chaque année par des opérations bienfaisantes, le spectacle des fourbes qui l’égarent, démasqués et punis, suffiront pour affaiblir ses préjugés, en attendant qu’une éducation plus raisonnable, qu’il serait si aisé et si utile de procurer à ce peuple, vienne préserver la génération naissante de toute erreur funeste.

J’ai vu quelquefois ce pauvre peuple s’échauffer pour le blé ! Eh bien, dans nos villages où tout le monde se connaît, j’ai remarqué que ce n’étaient pas les plus malheureux, mais les plus déshonorés, qu’on voyait à la tête des séditions : ceux qui les suivaient étaient entraînés, non par la faim, mais par une fureur qu’on leur avait suggérée. Un homme qui aurait faim enlèverait du pain, de la farine, du blé même ; il le porterait dans sa chaumière, il se hâterait