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abominablement. Grâce à un jardin qu’il mit derrière son habitation, Timon de Londres, cultivant lui-même ses légumes, put se passer de fruitier. S’il eût eu assez de terrain pour y faire pousser du grain, il est probable qu’il eût été son propre laboureur et son fermier ; du moins parvint-il à éliminer le meunier et le boulanger, en achetant son blé sac par sac, dont il faisait lui-même de la farine, laquelle se métamorphosait en pain entre les mains de Shrowl. D’après le même principe, la viande était achetée à la criée, et du nourrisseur lui-même ; le maître et le valet la mangeaient fraîche aussi longtemps que sa conservation le permettait ; puis ils salaient le reste, et en vivaient jusqu’à ce qu’elle fût achevée, se passant ainsi de l’inutile intermédiaire qu’on appelle boucher. Pour ce qui est de la boisson, ni brasseurs ni cabaretiers ne pouvaient se prévaloir d’un seul farthing soustrait à l’escarcelle de M. Treverton, Shrowl et lui se contentaient de bière, et cette bière, ils la brassaient eux-mêmes. Ainsi pourvus de pain, de légumes, de viande et de liqueurs fermentées, nos deux ermites des temps modernes parvenaient à se donner cette double satisfaction de se maintenir en vie au dedans, tandis que les fournisseurs se morfondaient au dehors.

S’ils se nourrissaient comme aux époques primitives, ils avaient adopté, à tous autres égards, des habitudes non moins fidèlement empruntées à l’état de nature. Ils avaient des marmites, des casseroles, des pots, deux tables de bois blanc, deux chaises, deux vieux sofas, deux pipes courtes et deux manteaux longs. En revanche, pas de repos à heure fixe, point de tapis ni d’oreillers, point d’armoires, point de bibliothèques, point de bric-à-brac d’aucune sorte, point de blanchisseuse, point d’ouvriers quelconques. Quand l’un des deux éprouvait le besoin de manger ou de boire, il coupait lui-même son croûton de pain, faisait cuire son morceau de viande, tirait son petit pot de bière, sans importuner l’autre de tous ces détails. Si l’un ou l’autre éprouvait le désir de passer une chemise propre (désir qui ne se manifestait pas très-fréquemment), il allait en laver une pour son propre compte. L’un ou l’autre s’apercevait-il que tel ou tel coin du logis était aussi un peu trop immonde, celui-là prenait un seau d’eau, un balai, puis nettoyait le recoin en question, comme il eût fait pour un chenil. Et enfin, quand l’un ou l’autre voulait se livrer au sommeil, il s’enveloppait dans son