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Je m’arrangeai, toujours un peu à contre-cœur, pour quitter Londres le lendemain de bonne heure. Dans l’après-midi, Pesca, se rendant à un dîner, passa chez moi pour me dire adieu.

— Ce qui, en votre absence, séchera mes pleurs, disait le professeur d’un ton gai, c’est la pensée que ma main, cette main providentielle, a donné la première impulsion à votre fortune en ce bas-monde… Allez, mon ami !… vous connaissez le proverbe anglais… « Dans le Cumberland, on profite du soleil pour faire ses foins… » Au nom du ciel, ne l’oubliez pas !… Épousez une des deux jeunes « misses ; » devenez « l’honourable » Hartright, M. P., et quand vous serez au sommet de l’échelle, souvenez-vous que Pesca, resté en bas, a réalisé pour vous ce beau rêve…

Je tâchai de rire avec mon petit ami de cette plaisanterie qui assaisonnait ses adieux ; mais, bien malgré moi, je ne pouvais m’égayer. Je ne sais quelle pénible émotion balançait chez moi l’effet discordant de ses légères paroles.

Lorsque je me retrouvai seul, il ne me restait plus qu’à partir pour le « cottage » de Hampstead, où je devais dire adieu à ma mère et à Sarah.


IV


La chaleur, tout le jour, avait été presque écrasante ; la soirée, maintenant, était encore lourde et sans air. Ma mère et ma sœur m’avaient tant de fois répété leurs derniers conseils, et tant de fois supplié « d’attendre encore cinq minutes, » qu’il était près de minuit quand la domestique ferma derrière moi la porte du jardin. Je fis quelques pas sur la route qui me ramenait à Londres ; puis, pris d’hésitation, je m’arrêtai.

La lune, pleine et large, brillait dans l’azur profond d’un ciel sans étoiles, et le sol inégal des bruyères pre-