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l’épaule, et supportant ses écarts avec la bénignité d’un bon père, indulgent pour les fredaines d’un fils étourdi.

L’intérêt que je ne puis m’empêcher de prendre à cet original m’a conduite à questionner sir Percival sur le passé du comte.

Sir Percival, ou bien n’en sait, ou bien n’a voulu m’en dire que fort peu de chose. Le comte et lui se rencontrèrent à Rome pour la première fois, il y a plusieurs années, dans les circonstances périlleuses auxquelles je crois avoir déjà fait allusion. Depuis cette époque, ils se sont trouvés constamment réunis à Londres, à Paris, à Vienne, mais jamais en Italie ; le comte, — circonstance bizarre, — n’ayant plus, depuis des années, passé les frontières de son pays natal. Peut-être s’est-il trouvé en butte à quelque persécution politique. En tout cas, son patriotisme inquiet le pousse à ne guère perdre de vue quiconque de ses compatriotes vient s’établir en Angleterre. Dès le soir de son arrivée, il voulut savoir à quelle distance nous étions de la ville la plus proche, et si nous connaissions quelque gentleman italien qui y eût fixé sa résidence. Il a pour sûr des correspondants singuliers sur le continent ; car les lettres qui lui arrivent portent toute espèce de timbres bizarres ; ce matin même, j’en ai vu une, qui l’attendait au déjeuner sur sa serviette, décorée de je ne sais quels grands sceaux à mine officielle. Peut-être est-il en correspondance avec le gouvernement de son pays ? Cette idée, pourtant, serait difficile à concilier avec mon autre conjecture, qu’il pourrait bien être un exilé politique.

Que voilà d’écritures à propos du comte Fosco ! et « le résultat net, quel est-il ? » — ainsi que dirait notre cher M. Gilmore, dans le jargon particulier aux gens d’affaires. Je dois me borner à répéter que nos relations, à peine esquissées, m’ont donné pour le comte une sorte de goût étrange ; il a pour moi un attrait que je me reproche en y cédant. C’est presque le même ascendant qu’il a pris, on le voit bien, sur le maître de céans. En effet, malgré les libertés parfois un peu grossières qu’il prend, de temps en temps, à l’égard de « son gros ami, » sir Percival n’en