Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— La femme de charge essaya le portrait qu’on lui demandait : mais il lui fut impossible d’assigner au visiteur inconnu quelque particularité d’extérieur qui pût éclairer son maître. Sir Percival fronça le sourcil, frappa du pied avec impatience, et entra dans le château sans prendre garde à personne. Comment une bagatelle pareille a pu le troubler à ce point, c’est ce que je ne saurais dire ; — pour troublé, il l’était, et sérieusement, sans le moindre doute.

En somme, il vaudra peut-être mieux m’abstenir de porter un jugement définitif sur ses manières, son langage, sa conduite chez lui, jusqu’à ce qu’il ait eu le temps d’en finir avec les inquiétudes, n’importe lesquelles, qui, maintenant, cela est clair, troublent en secret son esprit. Je vais donc tourner la page, et ma plume, provisoirement, accordera trêve au mari de Laura.

Viennent sur mon catalogue les deux nouveaux hôtes, — le comte et la comtesse Fosco. Expédions d’abord la comtesse, pour en avoir fini le plus tôt possible avec tout ce qui est femme.

Laura n’exagérait certainement rien, en m’écrivant que, lorsque je reverrais sa tante, j’aurais quelque peine à la reconnaître. Je n’ai jamais vu, produit par le mariage, de changement pareil à celui qu’a subi madame Fosco.

Quand elle s’appelait encore (à trente-sept ans) Eleanor Fairlie, sa conversation était vide et prétentieuse, et elle passait sa vie à tourmenter les infortunés de l’autre sexe par les mille petites exigences qu’une femme vaine et sotte peut infliger à l’infatigable patience de nos seigneurs et maîtres. Devenue madame Fosco (et chargée de quarante-trois printemps), elle reste assise, pendant des heures entières, sans ouvrir la bouche, congelée, dirait-on, par quelque froid où elle s’absorbe. Les hideux et ridicules tire-bouchons qui pendaient, jadis, des deux côtés de son visage, ont fait place, maintenant, à de très petites boucles bien alignées et crêpées, telles qu’on en voit sur les perruques à l’ancienne mode. Un bonnet tout uni, — le vrai bonnet des matrones, — enveloppe bien sa tête,