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mes idées, puisées dans le nord de l’Angleterre, — par les plantations qui l’entourent. Je n’ai vu personne encore, si ce n’est le domestique mâle qui m’a ouvert la porte et la femme de charge qui m’a très-poliment conduite jusqu’à ma chambre, et, plus tard, m’y a servi elle-même mon thé. J’ai un joli petit boudoir et une chambre à coucher, au fond d’un long corridor du premier étage. Les domestiques et quelques-unes des chambres d’amis sont au second ; le rez-de-chaussée comprend toutes les pièces servant à l’usage commun. Je n’en ai encore vu aucune, et ne sais rien du château, sauf qu’on donne cinq cents ans à l’une de ses ailes ; qu’il était jadis entouré de fossés ; et qu’il tire son nom, « Blackwater[1] » d’un lac situé dans le parc.

Onze heures viennent justement de sonner, solennelles et faisant songer aux apparitions, du haut d’un beffroi dominant le milieu du château, et que j’avais remarqué en arrivant. Un gros chien de garde, réveillé sans doute par le son de la cloche, aboie et gémit, en bâillant, dans quelque recoin invisible. J’entends le bruit des pas, répété par l’écho des corridors intérieurs, et le choc du fer produit par les verrous et les barreaux des portes que l’on ferme. Les domestiques vont évidemment se coucher. En ferai-je autant ?

Non : — je ne suis pas assez endormie. Que dis-je, endormie ? Il me semble que je ne pourrai plus jamais fermer les yeux. La simple pensée que je vais revoir demain ce cher visage, entendre cette voix bien connue, entretient constamment chez moi une sorte de fièvre. Si seulement j’avais les privilèges, dévolus au sexe masculin, je me ferais amener immédiatement le meilleur cheval que le maître de céans ait dans ses écuries, et j’essaierais d’un galop de nuit, dans la direction de l’est, à la rencontre du soleil levant, — un long galop, sans trêve, sans relâche, qui, pendant des heures et des heures, me forcerait à déployer tout ce que j’ai d’énergie ; — quelque chose comme la fameuse fuite de l’illustre Dick Turpin, ce héros de

  1. « Blackwater, » Eau-Noire. — « N. du T. »