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— LE LIVRE DES FEMMES. —

et c’est à dix-sept ans que j’ai pris la résolution de venir ici m’enfermer loin du monde. Je venais de perdre mon père ; j’étais orpheline et maîtresse d’une grande fortune : je restais sans soutien. Le monde m’attendait, mais qu’attendais-je du monde ? Je me sentais un cœur facile aux douces émotions, un cœur tendre où l’amour pouvait naître, et je sentais qu’une fois là, il en serait le maître absolu, éternel… Eh bien, je me vis telle que j’étais, et j’eus la certitude que je ne serais jamais aimée ; que je ne pourrais jamais l’être ; que ma destinée ne le voulait pas. Ainsi, le monde ne pouvait m’offrir que d’horribles souffrances ; j’y vivrais dédaignée ; mon cœur n’aurait pas où se répandre ; il lui faudrait étouffer tous les germes que l’amour pourrait y jeter, sous peine d’un éternel malheur. Alors j’ai préféré cette solitude à celle où il m’aurait fallu vivre