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le livre au chevet de ma mère, la grosse araignée s’éveillait aussi, prenait ses mesures d’arpenteur et quittait le plafond au bout d’un fil, droit au-dessus de la veilleuse à huile où tiédissait, toute la nuit, un bol de chocolat. Elle descendait, lente, balancée mollement comme une grosse perle, empoignait de ses huit pattes le bord de la tasse, se penchait tête première, et buvait jusqu’à satiété. Puis, elle remontait, lourde de chocolat crémeux, avec les haltes, les méditations qu’imposent un ventre trop chargé, et reprenait sa place au centre de son gréement de soie…

Couverte encore d’un manteau de voyage, je rêvais, lasse, enchantée, reconquise, au milieu de mon royaume.

— Où est ton araignée, maman ?

Les yeux gris de ma mère, agrandis par les lunettes, s’attristèrent :

— Tu reviens de Paris pour me demander des nouvelles de l’araignée, ingrate fille ?