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d’enfants sans fortune, à sa santé menacée, à la vieillesse qui ralentissait les pas — une seule jambe et deux béquilles — de son compagnon chéri. Muette, ma mère ressemblait à toutes les mères épouvantées devant la pauvreté et la mort. Mais la parole rallumait sur son visage une jeunesse invincible. Elle put maigrir de chagrin et ne parla jamais tristement. Elle échappait, comme d’un bond, à une rêverie tragique, en s’écriant, l’aiguille à tricot dardée vers son mari :

— Oui ? Eh bien, essaye de mourir avant moi, et tu verras !

— Je l’essaierai, ma chère âme, répondait-il.

Elle le regardait aussi férocement que s’il eût, par distraction, écrasé une bouture de pélargonium ou cassé la petite théière chinoise niellée d’or :

— Je te reconnais bien là ! Tout l’égoïsme des Funel et des Colette est en toi ! Ah ! pourquoi t’ai-je épousé ?

— Ma chère âme, parce que je t’ai menacée, si tu t’y refusais, d’une balle dans la tête.