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Voussard ne gagna point son grade d’« enfant du pays ». Grand, gris, sec, étroit, il ne quêta nulle sympathie et le cœur même de Rouillard, ce cœur expansif de cafetier-violoniste, attendri à force de mener en musique les cortèges de noces au long des routes, ne s’ouvrit jamais pour lui.

Voussard « mangeait » chez Patasson. « Manger chez un tel », cela signifie, chez nous, qu’on y loge aussi. Soixante francs par mois pour la pension complète : Voussard ne risquait pas d’y gâter sa taille, qu’il garda maigre, sanglée d’une jaquette vernissée et d’un gilet jaune, recousu de gros fil noir. Oui, recousu de gros fil… au-dessus de la pochette à montre… je le vois… Si je peignais, je pourrais faire de Voussard, vingt-cinq ans après qu’il a disparu, un portrait incompréhensiblement ressemblant. Pourquoi ? Je ne sais. Ce gilet, la couture de fil noir, le col en papier-carton blanc, la cravate, une loque à dessin cachemire. Au-dessus, la figure, grise le matin comme une vitre sale, parce que Voussard partait à jeun, ma