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guetter, au bout d’un jardin violacé de lune, la maison mystérieuse qui tenait clos tous ses volets. J’écoutai, comprimant mon cœur battant contre l’appui de la fenêtre. La nuit villageoise imposait son silence et je n’entendis que l’aboiement d’un chien, les griffes d’un chat qui lacéraient l’écorce d’un arbre. Puis une ombre en peignoir blanc — ma mère — traversa la rue, entra dans le jardin d’En-Face. Je la vis lever la tête, mesurer du regard le mur mitoyen comme si elle espérait le franchir. Puis elle alla et vint dans la courte allée du milieu, cassa machinalement un petit rameau de laurier odorant qu’elle froissa. Sous la lumière froide de la pleine lune, aucun de ses gestes ne m’échappait. Immobile, la face vers le ciel, elle écoutait, elle attendait. Un cri long, aérien, affaibli par la distance et les clôtures, lui parvint en même temps qu’à moi, et elle jeta avec violence ses mains croisées sur sa poitrine. Un second cri, soutenu sur la même note comme le début d’une mélodie, flotta dans l’air, et un troisième… Alors je vis ma