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l’étrier et dirigea le cheval par la bride vers le bord de la lagune.

À cette époque, la papauté représentait l’intelligence et la liberté ; un vieillard infirme et sans armes domptait un potentat puissant et redouté ; la force s’inclinait devant l’esprit. Aujourd’hui nous allons à l’aventure, n’ayant plus rien à vénérer ni à croire.

Un autre jour, c’était l’arsenal que je parcourais, ranimant ces armes au repos et ces forces enchaînées de la gloire évanouie de Venise. Par les beaux soirs, j’aimais à monter au haut du campanile qui relie la place Saint-Marc à la Piazzetta. J’avais devant moi la colonne de marbre où se tient juché le lion ailé et sur une colonne parallèle le saint protecteur de Venise, la ville se déroulait à mes pieds entourée d’une ceinture de flots calmes qui commençaient à s’assombrir. Là, encore, les vers de Byron me revenaient et je les répétais comme pour fixer dans ma mémoire le tableau mouvant.

« La lune paraît[1], la nuit n’a pas encore commencé son règne silencieux, les derniers rayons du soleil lui disputent le ciel ; une mer de lumière se répand sur les cimes bleuâtres des monts du Frioul. Le firmament est pur et n’a pas un nuage ; on le dirait composé d’une suite de zones lumineuses ; on croirait qu’il va se fondre en un vaste arc-en-ciel du côté de l’occident où le jour qui finit se réunit à l’éternité ; du

  1. Childe-Harold, quatrième chant.