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sorte d’irritation qui me poussait vers elle ; cela tenait des mauvais désirs.

Un matin où elle m’avait provoqué plus que de coutume, en partageant mon déjeuner servi auprès de mon lit, elle m’arracha tout à coup sa main, que je la priais de laisser dans la mienne, et voulut me quitter sous prétexte de sa leçon de chant. J’entendais en effet le pianiste préluder au piano. Je l’aurais envoyé à tous les diables, mais j’étais rivé à la patience et je dus vois disparaître la princesse qui riait et s’enfuyait en me narguant ; elle ne ferma pas même la porte de ma chambre, et la portière seule du salon retomba derrière elle ; elle savait bien que cette barrière suffisait. Ne rien voir c’était l’essentiel. Qu’importe d’ailleurs ce que je pouvais soupçonner, puisqu’il m’était interdit de m’en assurer, sous peine de retarder d’un mois ma guérison. Elle compta trop sur ma prudence : je ne sais quelles vapeurs de colère me montèrent au cerveau, en les entendant jeter dans l’air des notes brûlantes et passionnées ; je rejetai comme un fou ma couverture, je défis le bandage de ma jambe blessée, et me voilà franchissant à cloche-pied la distance qui séparait mon lit de la porte du salon ; je soulevai le rideau en tapisserie et j’apparus comme un spectre aux deux chanteurs. En ce moment, la princesse appuyait ses lèvres sur la joue du pianiste, qui la regardait dans une pose de vignette anglaise, tout en répétant très-correctement le refrain d’amour de leur duo. La princesse eut un mouvement d’épouvante en m’apercevant, ma présence la