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PROPOS JAPONAIS

pelle « les séparés », c’est-à-dire ceux qui, à la réapparition des missionnaires, n’ont pas voulu les reconnaître pour des vrais envoyés du Pape. Les anciens missionnaires, en quittant à regret le Japon, avaient fait à leurs chrétiens une solennelle promesse. Ils leur avaient dit ceci : « Quand vous verrez paraître à la pointe du rocher Kurosaki un vaisseau noir, sachez que l’heure aura sonné, à laquelle vous pourrez entendre de nouveau le Kristan no oshie, l’enseignement du Christ. » Or ces braves chrétiens transmettaient religieusement cette promesse, avec leur foi, à leurs descendants. Et quel soin, quel zèle dans cette tradition du dépôt sacré ! Le soir, quand les ombres du crépuscule se confondaient avec les teintes noires de la montagne, à la porte de certaines maisons de réunion, des veilleurs entraient en faction et se tenaient prêts à donner l’alarme, au cas où des espions pourraient se présenter. Pendant ce temps, à l’intérieur, on préparait un petit festin ; mais ce n’était qu’un prétexte, l’occupation véritable était tout autre : on enseignait les prières aux enfants et on faisait une classe de catéchisme.

Or, un jour le « vaisseau noir » parut à la pointe du rocher, et bientôt fut enseigné le Kristan no oshie. La plupart des vieux chrétiens, exultant de joie, se mirent, comme leurs pères, à prier et à chanter à haute voix les enseignements divins de leur foi. Mais hélas ! un certain nombre d’entre eux, habitués pendant deux siècles à redouter des persécuteurs, redoutèrent aussi les nouveaux venus : par quel mystère, Dieu le sait ! Malheureusement ils les redoutent encore. Mais ce qui est le plus triste, c’est que depuis l’arrivée du « vaisseau noir », les « séparés » n’ont plus le même zèle qu’au-