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le verre, font comme de petites paillettes étincelantes. Le gobelet, une fois plein, l’homme le vide d’un trait ; puis, après avoir promené autour de lui un regard à demi éteint, mais révélant un air de gourmandise visible, il se laisse tomber lourdement sur le banc, pour cuver son sake. Pauvre lui !…

À l’autre bout du compartiment, deux marchands. On les reconnaît à leurs petites valises plates, placées sur la tablette au-dessus de leur tête. Ils sont habillés à la japonaise, et richement habillés. Ils causent avec animation d’une affaire qui, semble-t-il, leur promet un gros profit, car ils ont un sourire qui ne s’efface pas, et laisse entrevoir dans leur bouche plusieurs dents remplies d’or. Ce sont des haikara, comme on dit ici. Ce mot n’est autre que les deux mots anglais high collar, auxquels les Japonais ont donné un sens très étendu. D’abord, on n’a appelé ainsi que les gens qui portent un collet très élevé ; puis, tous les gens bien mis furent qualifiés de ce sobriquet ; enfin, on en vint à employer ce mot pour n’importe quoi, sans se soucier des plus curieuses invraisemblances. On dira, par exemple une montre high collar, en prononçant toutefois haikara ; les Japonais, en effet, à l’encontre des Chinois, n’ont pas l’articulation de l’l ; — des chaussures high collar, des lunettes high collar, etc.

Dans le coin du banc opposé, il y a une jeune mère, avec une petite fille. Celle-ci, de cinq à six ans à peine, est toute gracieuse dans son petit kimono parsemé de fleurs vives et chatoyantes, avec sa petite boucle de ruban rose fixée du côté droit, dans ses cheveux noirs. Quant à la mère, elle est malade : elle a des nausées qui lui donnent sans doute l’illusion d’être sur mer.