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astiqué et grave comme une statue grecque. Tout-à-l’heure, en arrivant, outre sa capote et son képi, il a enlevé sa ceinture de cuir et son épée et placé le tout sur la tablette aux menus bagages ; puis, étendant à son tour une couverture de laine sur le banc, il a retiré ses longues bottes et s’est assis à la manière des tailleurs ; enfin, le voilà absorbé dans un petit livre, où il y a beaucoup de cartes toutes stigmatisées de rouge.

Cette coutume d’étendre sous soi une couverture de laine est à peu près générale en 1ère et 2ème classe. De même, presque tous les hommes retirent leurs chaussures ou leurs geta pour s’asseoir ainsi, à la manière des tailleurs. Les femmes, elles, s’assoient à la japonaise et toujours tournées vers la fenêtre, probablement à cause de la boucle de leur énorme ceinture qu’elles froisseraient sans doute en s’appuyant contre le dossier.

Mon voisin de droite est un jeune homme. Étendu de tout son long sur le banc et la tête appuyée sur un petit coussin de caoutchouc rempli d’air, tel qu’en ont aussi à peu près tous les passagers de 1ère et de 2ème classe ; il lit avec passion, semble-t-il, un livre qui n’est probablement pas autre chose qu’un roman.

Pour voisin de gauche, j’ai un homme ; non, une casquette, une énorme casquette de drap gris, enfoncée jusqu’au dessus de deux yeux noirs et visqueux, avec un nez menaçant, entre deux grosses joues d’un jaune huileux et sale. C’est un ivrogne. D’une main, il tient une grosse bouteille recouverte d’une enveloppe de cuir, et de l’autre, un tout petit gobelet. De temps en temps, il remplit son petit vase ; il verse tout doucement la liqueur dont les gouttes, en tombant dans