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grandeurs et misères d’une victoire

C’est bien pourquoi le général von Bernhardi lui-même, le meilleur élève, comme j’ai déjà dit, de l’historien Treitschke, dont la pensée fait loi en Allemagne, en vient à nous dénoncer la « Puissance mondiale comme étant en décadence. » Il ne reste donc plus aux autres peuples, comme moyen de salut, que la conquête allemande. Qui commettrait la folie de ne pas s’y soumettre triomphalement ? Sommes-nous donc excusables de ne pas accepter, sans autres garanties que la « foi jurée et parjurée », ces relations de bon voisinage avec le peuple qui s’annonce comme le chef-d’œuvre de l’humanité ? Car ces paroles, cyniquement téméraires, quelqu’un pouvant faire montre d’autorité a-t-il jamais essayé de les renier, de les atténuer ? Demandez-le aux foules, dont le premier cri, en toute occasion, est : « L’Allemagne au-dessus de tout ! » Voilà sur quoi nos hommes publics se fondent pour nous recommander une paix de confiance avec l’Allemagne animée des sentiments que ses porte-parole viennent d’exposer.

J’ai pénétré parfois dans l’antre sacré du culte germanique qui est, comme on sait, la brasserie. Une grande nef d’humanité massive où s’accumulent, dans les relents de la bière et du tabac, les grondements populaires d’un nationalisme soutenu par les mugissements de cuivres emportant au plus haut la voix suprême allemande. « L’Allemagne au-dessus de tout ! » Hommes, femmes, enfants, pétrifiés devant le grès divin, le front barré d’une puissance irrépressible, les yeux perdus dans un rêve d’infini, bouche tordue par l’exaspération de volonté, boivent à longs traits la céleste espérance de réalisations inconnues. Il ne restera plus qu’à réaliser, tout à