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grandeurs et misères d’une victoire

n’empêche pas les « garanties » de M. Wilson de se montrer bien fragiles lorsqu’il enseigne à la Conférence de la paix (14 février 1919) que son « Covenant » est une garantie déterminée de la « paix, protégée contre toute agression par la parole donnée. » Il oublie bien fâcheusement, en effet, que la violation du territoire belge assigne une valeur de néant à la parole des « hors la loi ».

Mais le président de la République américaine a tout autre chose en tête. Comme il redoute, non sans raison, les épreuves qui vont suivre, il veut joindre Traité et Covenant de la Ligue des Nations en un bloc infrangible, pour que peuple et parlements, une fois donné leur assentiment doctrinal, ne puissent plus se reprendre. Le Traité couvrira le Covenant de son aile, et le monde sera sauvé. Je me permets de trouver que cette vue est un peu courte — surtout quand on n’ose même pas soulever la question d’un pouvoir d’exécution aux mains de nos sauveurs. Mais, dès le 21 décembre 1918, le sénateur Lodge avait pris position contre l’idée de joindre le Traité de paix et le Covenant d’une « Ligue des Nations forte, ayant la puissance nécessaire pour faire exécuter ses décrets ».

On sait le reste de l’histoire. M. Wilson accepte de légers amendements au texte du Covenant, mais tient ferme sur la jonction du Covenant au Traité — point capital du désaccord. Le Sénat vote le Traité avec des réserves, et par conséquent le renvoie au président, qui met le papier dans ses archives, d’où il ne sortira plus. Ainsi finit l’aventure au cours de laquelle sombra le « Pacte de garantie » qui nous solidarisait avec l’Angleterre et l’Amérique, au regard de l’Allemagne, pour le maintien assuré de la paix.