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l’atome

prétations dévoyées. Au lieu du jardin de l’Éden, que rien ne peut faire revivre en l’absence de l’humanité biblique, c’est en des territoires de connaissance, et non plus de rêve que notre idéal doit se chercher.

À Ceylan, dans les fourrés d’Anuradjapoura, le vieux Bouddha de pierre attend, depuis des âges, qui ose l’interroger. Parfois arrive-t-il qu’un singe, impassible de naïve impudence, se présente pour camper ses yeux dans ceux du maître et demander une interview de réciproque silence, plus suggestive que les plus belles prédications du grand-moine songeur.

Sur la foi des inscriptions bouddhiques du continent cinghalais, je voulus connaître les hautes révélations qu’avaient laissées aux générations à venir les religieux chargés de pourvoir au salut de cette terre, sous les auspices de Mahinda, fils du grand Açoka. Et quand je foulai de mes pas la table du roc sacré où s’étalait la noble écriture, quel chagrin de découvrir qu’il s’agissait simplement, pour les bons moines, de revendiquer la propriété de l’étang voisin dont l’eau se débitait fructueusement pour la culture des rizières. Désenchantement auquel échappa le doux singe, grâce au mutisme du non moins doux Bouddha !

Tant de méprises n’expliquent que trop bien l’audacieuse pensée du Florentin, explorateur de l’enfer, lorsqu’il se résolut, dans son impatience du mystère, à visiter les sombres dessous des destinées humaines. En la barque fatidique dont notre grand peintre romantique nous a laissé l’image, l’aventureux génie se confie hardiment, avec son magnifique poète pour guide, aux mornes ressauts des flots contradictoires en vue des caps décevants de l’infini. Vainement les naufragés s’accrochent des griffes et des dents, comme le Cynégire de Marathon, à l’esquif attendu de la rive tourmentée. L’œil perdu dans la bourrasque des éléments, le chantre de Mantoue dit la persévérance à travers les terreurs. Qu’importent les brumes du monde d’où les passagers ont gagné le large ? À tous risques, il faut avancer. Comme pour le Génois fameux qu’une méconnaissance du problème jeta aux imprévus du nouveau continent, les planches incertaines de la périlleuse nef nous emportent à des figurations toujours nouvelles du toujours merveilleux et toujours décevant inconnu. Quel havre nous offrira le fond où l’ancre puisse tomber ?