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matière ? » Ici, comme le disait à peu près Falstaff, la prudence est une importante partie de la fougue. Nous ne nous défierons jamais trop de l’absolu de certaines relativités.

Jadis ultimité de la matière, l’atome nous découvre aujourd’hui, autour de son noyau, un groupement de corpuscules électrisés négativement, en voie de dissociation. La radio-activité où M. Le Bon trouve une propriété commune à tous les corps, nous montre avec le radium, l’uranium, l’actinium, le thorium, etc., un bombardement général d’atomuscules doués d’une vitesse de même ordre que la lumière, et produisant sur les corps qu’ils rencontrent des effets déterminés. Le rayonnement radio-actif traverse des corps solides, échauffe, éclaire, met en œuvre d’autres phénomènes dont nous sommes témoins sans pouvoir toujours les déterminer. Sur quoi, la matière « disparaît », nous dit-on, et l’on ajoute gravement qu’elle s’est « dématérialisée ». Notre antique création serait ainsi réversible. Une métaphysique de positivité nous presse-t-elle donc à ce point de retourner au néant ? Après l’électron, n’y a-t-il donc plus rien ? C’est si peu le cas que de hâtifs généralisateurs transmuent volontiers la matière dissociée en éther, c’est-à-dire en quelque chose que l’on ne connaît pas encore, mais qui serait, tout de même, d’invincible réalité[1].

Du point de vue positif, les expériences faites sur les rayons émis par les substances radio-actives ont donné à Rutherford sa théorie nucléaire de l’atome — décomposition de l’ancienne unité de volume — par l’action d’un noyau chargé d’électricité positive. Il est admis qu’un nombre variable d’électrons négatifs gravitent autour du noyau en des orbites déterminées, où la vitesse de la giration pourrait soustraire l’électron, en tout ou en partie, aux lois de la pesanteur, desquelles dériveraient les mouvements de la cohésion physique et de l’affinité chimique dans des conditions inconnues. Il faut que

  1. Je m’orienterais volontiers, de mon propre chef, vers cette vue. L’Éther est enfoncé dans le plus vif de nos connaissances, bien qu’ayant échappé jusqu’ici aux contrôles de l’observation. Or, voici qu’à l’ultimité des enchaînements de l’expérience, le saut de loup se présente d’une apparente « dématérialisation. » Pourquoi n’y aurait-il pas tout simplement un quatrième état de la matière, et beaucoup d’autres même dans les transformations cosmiques connues ou inconnues ?