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LES HOMMES, LES DIEUX

l’onomatopée soit, ou non, une résonnance de l’homme, comme le veut Renan. Il comprendrait comment, cherchant à fixer la synthèse avant d’en venir à l’analyse, nous offrons toutes chances aux aberrations de mots, promptes à nous engager en de dangereux détours. Il admirerait les infinies complexités d’une évolution générale ou chaque homme parlant vient fournir son apport, plus ou moins conscient, à l’œuvre grandiose des développements de la pensée, selon la qualité de l’expression qu’il s’efforce d’y attacher. Point d’étonnement si le langage et la pensée de l’homme se commandent l’un l’autre, puisqu’ils sont l’œuvre organique par laquelle l’homme en vient à se construire lui-même, dans les accomplissements de sa plus haute évolution. Il se trouve ainsi que la vie du langage articulé n’est rien de moins que la vie de l’être humain en effort continu de croissance, pour vivre pleinement de la pensée qui fut à la pensée qui sera.

Il s’agit d’étudier les mécanismes, c’est-à-dire les activités vitales du langage, comme nous étudions la vie de la plante ou de la bête. « À cet effet, remarque Max Muller, des patois qui n’ont jamais produit d’œuvre littéraire, les jargons de tribus sauvages, les modulations vocales des Indo-Chinois et les claquements de langue des Hottentots, sont aussi importants et, pour certains problèmes, plus importants que la poésie d’Homère ou la prose de Cicéron. » On compte près de neuf cents langues[1] issues de l’organisme humain, qui, toutes, présentent des traits, communs à grouper, à classer, à interpréter, non seulement dans la formation des racines mais encore dans toutes les activités constructives de leurs évolutions, de leurs aberrations.

Max Muller qui nous dit sérieusement que l’homme parle encore la langue, ou les dérivés de la langue, dans laquelle il s’entretint avec le Jahveh de la Bible, n’en a pas moins dû fonder ses leçons sur les dispositions anatomiques des organes vocaux (dont il a soin de donner des planches) et sur les conjugaisons de leurs activités biologiques. Il nous permettra de nous en tenir à sa méthode, sans en venir, pour la rendre plus acceptable, à la défigurer bibliquement.

Le langage apparaît ainsi comme une procédure naturelle d’expression qui, par des signes de voix articulée, permet de

  1. Je ne parle pas des dialectes.