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DÉMOSTHÈNE

humain est debout. D’un mot il déchire le voile des choses, il porte la pointe du fer au fond de la plaie vive, il fait apparaître aux yeux égarés l’horreur vivante de ce qui est. Ainsi feront plus tard Cicéron, Mirabeau, débridant la blessure à l’heure du suprême péril. L’effet oratoire a jailli avant d’être cherché. Un mot suffit : « J’ai vu, j’ai dit, j’ai voulu, j’ai osé. » Il n’y a pas de réplique. La catapulte a joué. Le verbe et l’acte en même temps. Orateur et héros, l’homme entraîne tous ces lambeaux d’existences manquées à la plénitude des réalisations des grands jours. Ils ne pourront s’y maintenir. Lui, il saura s’y draper dans son linceul anticipé. Une telle grandeur se paie. Seul l’homme d’action pourrait dire s’il est un trop haut prix pour le sublime coup de foudre de Jupiter tonnant.

L’événement fut tel que, dans ce duel implacable de deux volontés ennemies, s’institue une sorte de « jugement de Dieu » infirmé par l’histoire, puisque la cause, demeurée victorieuse sur les champs de bataille, ne put affronter l’épreuve du lendemain. De Démosthène à Eschine, il y a toute la distance d’un idéal d’humanité grandissante au brutal empirisme d’un ordre d’asservissement. Si grands qu’ils soient, chacun dans son rôle, les hommes sont ici dépassés par leur cause. Si achevée que soit leur puissance de penser, de dire