Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/292

Cette page n’a pas encore été corrigée

légitime à ces beaux enfants que vous avez vus, fruits de la plus heureuse des unions.

C’est ainsi qu’enfin j’étais arrivée au port. Là, dans le sein de la vertu, je savourais les seules incorruptibles délices ; regardant derrière moi la carrière du vice que j’avais parcourue, je comparais ses infâmes plaisirs avec les joies infiniment supérieures de l’innocence ; et je ne pouvais me retenir d’un sentiment de pitié, même au point de vue du goût, pour ces esclaves d’une sensualité grossière, insensibles aux charmes si délicats de la VERTU, cette grande ennemie du VICE, mais qui n’en est pas moins la plus grande amie du PLAISIR. La tempérance élève les hommes au-dessus des passions, l’intempérance les y asservit ; l’une produit santé, vigueur, fécondité, gaieté, tous les biens de la vie ; l’autre n’enfante que maladies, débilité, stérilité, dégoût de soi-même, tous les maux qui peuvent affliger l’humaine nature.


Vous riez, peut être, de cet épilogue moral que me dicte la vérité, après des expériences comparées ; vous le trouvez sans doute en désaccord avec mon caractère ; peut-être aussi le considérez-vous comme une misérable finasserie destinée à masquer la dévotion au vice sous un lambeau de voile impunément arraché de l’autel de la Vertu ; je ressemblerais alors à une femme qui, dans une mascarade, se croirait complètement déguisée, parce qu’elle aurait, sans plus changer de costume, simplement transformé ses souliers en pantoufles ou à un écrivain qui prétendrait excuser un libelle du crime de lèse-majesté, parce qu’il y aurait inséré, en terminant, une prière pour le roi. Mais, outre que vous avez, je m’en flatte, une meilleure opinion de mon bon sens et de ma sincérité, permettez-moi de vous faire observer