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VERS LA MONTAGNE


Sortant pieds nus sous la vérandah, je regarde vers la gauche : au front du mont, parmi les nues bouleversées, une touche de phosphore indique l’aube. Le mouvement des lampes par la maison, le manger dans l’ensommeillé et gourd, les paquets que l’on arrime : en route. Par la côte roide nous plongeons dans le faubourg indigène.

C’est l’heure indécise où les villes se réveillent. Déjà les cuisiniers de plein vent allument le feu sous les poêles : déjà au fond de quelques boutiques un vacillant lumignon éclaire des membres nus. Malgré les planches garnies de pointes qu’on a posées à plat sur les devantures, en suspens sur les corniches, rapetassés dans les encoignures, à toutes les places libres, des gens gisent et dorment. L’un, à demi réveillé, se grattant le côté du ventre, nous regarde d’un œil vide et bée d’un air de délice ; l’autre dort si serré qu’on dirait qu’il colle à la pierre.