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LA NAVIGATION NOCTURNE


J’ai oublie la raison de ce voyage que j’entrepris, pareil à Confucius quand il vint porter la doctrine au prince de Ou, et quelle fut la matière de ma négociation. Assis tout le jour dans le fond de ma chambre vernie, ma hâte sur les eaux calmes ne devançait pas le progrès cycnéen de l’embarcation. Parfois seulement, au soir, je venais avec sagesse considérer l’aspect de la contrée.

Notre hiver n’a point de sévérité. Saison chère au philosophe, ces arbres nus, l’herbe jaune, marquent assez la suspension du temps sans qu’un froid atroce et des violences meurtrières l’attestent, superflus, définitive. À ce douzième mois encore, cimetière et potager, la campagne, avec les tertres partout des tombes, s’étend productive et funèbre. Les bosquets de bambous bleus, les pins sombres au-dessus des sépultures, les roseaux glauques, arrêtent avec art le regard en le satisfaisant, et les fleurs jaunes