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leurs que ce jour-là il avoit obligation de dire la messe, ce qui détermina le sieur Beuvelet de la dire à sa descharge en le priant de la servir. La Dame du lieu dit qu’elle auroit soin de faire faire une soutane pour éviter l’inconvénient qui estoit arrivé, à quy il répondit qu’il ne falloit pas prester de soutane à un prestre non plus qu’un marry preste sa femme à un autre.

S’estant encore rencontré dans ce mesme lieu deux chanoines qualifiés de l’église métropolitaine ils allèrent le voir à cause de sa réputation. Il les receut avec beaucoup d’humanité. L’un des deux luy dit : Monsieur, je ne suis pas en habit décent ayant un habit gris. Il luy dit : tant pis ! L’autre, qui n’avait qu’un manteau long, dit : pour moy je suis en habit décent. Il n’importe pas,[1] dit-il que vous y soyez plus que moi. Mais quelle peine seroit-ce, repartit l’autre, de porter à la campagne des habits embarrassans et incommodes ! Mais, ajoutat-il, seriez-vous plus embarrassés si vous les aviez, que les femmes, que les religieux, Jésuites, Capucins et autres qui ont des habits plus pesans. Ils ne s’en plaignent pas, marchent à pied par les plus mauvais temps. Le chanoine au long manteau répliqua qu’il y avoit obligation pour ceux-là et non pour les prestres, et qu’on ne pouvoit pas leur faire voir qu’ils y eussent aucun engagement. Il étoit docteur en théologie, revestu d’une dignité considérable dans son chapitre et gouvernoit outre cela le diocèse. Ledit sieur Beuvelet luy parla d’une manière si sçavante et si recherchée sur cette matière qu’il les convainquit tous deux.

Il avoit esté choisi par le cardinal de Retz pour examiner les ordinans […].[2] Quand il célébroit la messe c’étoit avec une si grande dévotion qu’il l’inspiroit aux [p. 690] assistans, la disant autrefois à Reims dans la chapelle de Ste Margueritte[3] il arriva qu’estant au Gloria in excelsis il demeura comme ravi e transporté en extase, les yeux étincelans et levés vers le ciel le visage enflammé et rayonnant, l’esprit abstrait et le corps immobile. Il demeura du tems dans cet estat en sorte que les assistans s’en apperceurent. Etant de retour à la maison, un de ses amys les plus confidens luy demanda ce qui luy estoit arrivé. Il luy déclara, après luy avoir fait promettre de n’en jamais parler, au moins pendant sa vie, que, commençant le Cantique des Anges, il apperceût ces divines intelligences qui environnoient le trosne de Dieu, qui le chantoient et l’acclamoient avec des abbaisse-

  1. Lecture conjecturale.
  2. Quelques lignes de lecture souvent difficile n’ajoutent rien, ici, à la connaissance de Mathieu Beuvelet.
  3. Il est bon de noter que les parents de saint J.B. de Salle achetèrent une maison rue Sainte-Marguerite le 23 mai 1664 (aujourd’hui rue Eugène-Desteuque) qu’ils y habitèrent et que le chanoine de La Salle y accueillit Adrien Nyel pour l’aider à réaliser un projet de scolarisation chrétienne des garçons pauvres élaboré naguère par Nicolas Roland, sa tante Françoise Beuvelet et Mme Maillefer de Rouen. Sur cette maison cf. CL 401, p. 31.