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te délasser dans l’étude des lettres romaines et dans des exercices que tu nous destines. »

Iriez-vous donc vous prononcer contre la divination que je soutiens, vous l’acteur et le témoin de ces faits, vous l’auteur des vers élégants que je viens de citer ? Demanderez-vous, avec Carnéade, pourquoi les choses se passent ainsi, et par quel art on peut les provoir ? Je confesse, en cela, mon ignorance ; je dis seulement que vous reconnaissez tout aussi bien que moi que les faits s’accomplissent. C’est l’effet du hasard, me direz-vous. Quoi, serait-il vrai que le hasard pût réunir tous les éléments de la perfection et de la vérité ? Quatre dés amènent par hasard le point de Vénus : croyez-vous que quatre cents dés pussent l’amener de même cent fois ? Des couleurs jetées à l’aventure peuvent figurer les traits du visage, mais pensez-vous que l’on puisse par un semblable moyen représenter la beauté de la Vénus de Cos ? Qu’un porc trace la lettre A en fouillant la terre ; vous viendra-t-il à l’idée qu’il puisse écrire l’Andromaque d’Ennius ? Carnéade supposait qu’en fendant une pierre des carrières de Chio, on avait trouvé la tête d’un jeune faune ; j’admets qu’on y découvrît quelque chose de semblable, mais rien sans doute de comparable aux ouvrages de Scopas, car il n’arrive jamais que le hasard imite parfaitement la vérité.

XIV. Mais parfois les événements prédits n’arrivent pas. Eh ! quel art, parmi ceux qui se fondent sur l’opinion et sur les conjectures, est infaillible ? La médecine n’est-elle pas un art ? Combien de fois cependant ne s’est-elle pas trompée ? Les pilotes ne se trompent-ils pas aussi ? Comme le dit Pacuvius, l’armée des Grecs et les pilotes, guides de leurs nombreux vaisseaux, à leur départ de Troie « ne s’amusaient-ils pas, dans leur joie, à voir les poissons se jouer dans les flots, spectacle dont ils ne pouvaient se lasser ? Mais bientôt, vers le coucher du soleil, d’épaisses ténèbres, produites tout à la fois par le vent et la tempête, s’étendirent au loin sur la mer furieuse. » Ce naufrage de tant de rois, de tant d’illustres capitaines a-t-il anéanti l’art de la navigation ? Pour avoir vu dernièrement un grand général s’enfuir après avoir perdu son armée, nierons-nous l’art de la guerre ? Enfin la raison, la prudence n’ont-elles plus rien à faire dans le gouvernement de la république, parce que Pompée s’est trompé souvent, M. Caton de temps à autre, et Cicéron lui-même quelquefois ? Il en est ainsi des réponses des aruspices et de toute divination basée sur des conjectures ; car il n’est pas donné à l’esprit humain d’aller plus loin. Déçus parfois, elles nous conduisent cependant le plus souvent à la vérité ; car cette science remonte à un temps immémorial ; car cet art est le résultat d’une série d’observations recueillies à la suite d’une infinité d’événements semblables, précédés des mêmes signes.

XV. Vos auspices n’approchent-ils pas de la certitude ? Il est vrai que maintenant les augures romains, permettez-moi de vous le dire, ignorent la science que possèdent à fond les Ciliciens, les Pamphylliens, les Pisidiens et les Lyciens. Ai-je besoin de vous rappeler un nom illustre et vénéré, celui de notre hôte le roi Déjotarus ? Vous savez que ce prince n’entreprend rien sans avoir consulté les auspices. Un jour, averti par le vol d’un aigle, il interrompit un voyage projeté et commencé ; et la chambre où il aurait dû coucher,