Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/677

Cette page n’a pas encore été corrigée
669
TUSCULANES, LIV. II.

gens qui ne vont guère aux coups. Un d'eux, homme frivole, qui avait appris la constance sous Zénon, fut endoctriné tout autrement par la douleur. Je parle de Denys d'Héraclée. Tourmenté d'un mal de reins, il hurlait, et il criait de toutes ses forces que ce qu'il avait cru de la douleur était bien faux. Arriva Cléanthe son condisciple, qui lui demanda par quelle raison II changeait de sentiment. « Parce que, dit-il, un bon argument, pour prouver que la douleur est un mal, c'est de ne pouvoir la supporter, après qu'on a si longtemps étudié la philosophie. Je l'ai étudiée plusieurs années, et je ne puis supporter ]a douleur ; c'est donc un mal. » À ces mots Cléanthe frappa du pied contre terre, et cita, dit-on, cet endroit des Epigones ;

Quoi, d'Antiphiaraüs aux enfers descendu,
Cet insolent propos sera-t-il entendu ?

Par là Cléanthe désignait Zénon, dont il était fâché de voir le disciple dégénérer. On n'en dira pas autant de Posidonius. Je l'ai fort connu, et voici ce que Pompée nous en a souvent raconté. Qu'à son retour de Syrie, passant par Rhodes, il eut dessein d'aller entendre un philosophe de cette réputation : que, comme il apprit que la goutte le retenait chez lui, il voulut au moins lui rendre visite : et qu'après lui avoir fait toutes sortes de civilités, il lui témoigna quelle peine il ressentait de ne pouvoir l'entendre. « Vous le pouvez, reprit Posidonius, et il ne sera pas dit qu'une douleur corporelle soit cause qu'un si grand homme ail inutilement pris la peine de se rendre chez moi. » Pompée nous disait qu'ensuite ce philosophe, dans son lit, discourut gravement, éloquemment, sur ce principe même, « Qu'il n'y a de bon que ce qui est honnête : et qu'à diverses reprises, dans les moments ou la douleur s'élançait avec plus de force, « Douleur, s'écriait-il, tu as beau faire ; quelque importune que tu sois, jamais je n'avouerai que tu sois un mal. » On supporte aisément tous les travaux qui font honneur.

XXVI. Voit-on que la douleur effraye les athlètes, dans les pays ou les jeux gymniques sont estimés ? Ailleurs, ou c'est un mérite de chasser et de monter à cheval, fait-elle peur à ceux qui veulent se distinguer par là ? Que dirai-Je de nos brigues ? À quoi nos ambitieux ne s'exposent-ils point ? Par quels brasiers ne traversaient-ils pas autrefois, pour chercher à s'assurer tous les suffrages ? Aussi Xénophon, disciple de Socnite, dit-il très-bien, que « les mêmes travaux ne sont pas également pénibles pour le général et pour le soldat, parce qu'à l'égard des généraux, la peine est adoucie par la gloire : » et cette maxime était plus souvent citée que toute autre pru' Scipion l'Africain, qui avait toujours Xénophon entre les mains. Tout incapable qu'est le vulgaire de voir en quoi consiste l'honnête, il ne laisse pas d'y être sensible, et comme il règle ses idées sur ce qu'il entend dire le plus communément, il croit que l'honnête, c'est ce qui est loué par le plus grand nombre. Pour vous, quand même vous seriez exposé à la vue du public, je ne voudrais pas que sa manière de penser vous fit la loi. Tenez-vous-en à vos lumières. Quand elles seront justes, et que vous chercherez à vous plaire, non-seulement vous serez victorieux de vous-même, comme je vous l'ordonnais tout a l'heure, mais il n'y aura ni homme, ni