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TUSCULANES, LIV. II.

partie de leurs corps. Quel travail que celui de nos légions, dans leurs divers exercices ! Or c’est précisément de là que leur vient cette intrépidité qui brave les coups. Amenez-moi un soldat, qui ait dans l’âme le même degré de valeur, mais qui n’ait point passé par les mêmes exercices ; on le prendra pour une femme. Aussi l’avons-nous bien éprouvé, qu’entre nouvelles et vieilles troupes, il y a une différence infinie. Ordinairement le nouveau soldat est d’un âge plus vigoureux : mais d’être fait à la fatigue, et d’aller aux coups tête baissée, c’est ce qui ne s’apprend cjue par l’habitude. Vous verrez, lorsqu’après une bataille on emporte les blessés, vous verrez le nouveau soldat pleurer honteusement pour une légère blessure, pendant que l’ancien, dont le courage est relevé par l’expérience, demande seulement un médecin qui lui bande sa plaie. Témoin Eurypyle, qui parle ainsi.

Patrocle, à mon secours : sans vous ma mort est sûre.
Arrêtez, s’il se peut, le sang de ma blessure.
Les enfants d’Esculape ailleurs sont dispersés,
Et ne peuvent suffire au nombre des blessés.

XVII. Voilà bien le caractère d’un vieux guerrier, à qui la douleur ne coupe point la parole. Remarquez comme Eurypyle, loin de le prendre sur un ton pleureux, ajoute lui-même pour quelle raison il doit patiemment souffrir sa disgrâce.

Quiconque au sein d’un autre a cru porter la mort,
A dû craindre pour lui l’effet d’un même sort,

dit-il : et moi là-dessus, je m’imagine que Patrocle va l’emmener, le mettre an lit, bander sa plaie. Oui, si Patrocle était un homme ordinaire. Mais il lui demande des nouvelles de l’action.

Après ce grand combat, seigneur, apprenez-moi
Quel aujourd’hui des Grecs est l’espoir, ou l’effroi.

Au lieu donc de songer à sa blessure, le malade reprend :

Hector, à qui les Dieu prêtaient leur assistance,
Voyant de nos guerriers mollir la résistance,

et le reste : car il en vient au détail, malgré sa douleur ; emporté par cette intempérance de gloire, dont un brave ne peut se défendre. Un homme éclairé, un philosophe ne pourra-t-il donc pas aussi bien qu’un vieux guerrier, montrer de la patience dans ses douleurs ? Oui sans doute il le pourra, et incomparablement mieux. Mais nous n’en sommes pas encore aux secours qui se tirent de sa raison : il s’agit présentement de ceux qui naissent de l’habitude. Une petite femme décrépite jeûnera sans peine deux et trois jours. Retranchez la nourriture à un athlète pendant vingt-quatre heures, il se croira mort, et appellera Jupiter à son aide, ce Jupiter l’Olympien, à qui ses travaux sont consacrés. Telle est la force de l’habitude. Passer les nuits au milieu des neiges, et brûler toute la journée au soleil, c’est l’ordinaire des chasseurs. On n’entend pas même gémir ces athlètes, qui se meurtrissent à coups de cestes. Que dis-je ? Une victoire remportée aux jeux Olympiques est à leurs yeux ce qu’a été autrefois le consulat dans Home. Mais les gladiateurs, des scélérats, des barbares, jusqu’où