Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/496

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
488
CICÉRON.

pas cesser de chercher la vérité qu’on ne l’ait trouvée ; car il serait honteux de se rebuter dans la poursuite de ce qu’il y a de plus excellent au monde. D’ailleurs, si c’est une jouissance pour moi que de traiter de tels sujets, pourquoi me l’envier et me l’interdire ? si c’est une tâche que je me suis imposée, pourquoi vouloir régler les travaux d’autrui ? C’est par esprit d’humanité que Chrémès dans Térence ne veut pas que son nouveau voisin

Bêche la terre, ou laboure, ou porte quelque fardeau ;

Ce n’est pas le travail qu’il lui déconseille, mais ce sont ces occupations d’esclave ; quant à mes censeurs, c’est par pure indiscrétion qu’ils se mettent en peine d’un travail où je trouve tant de charmes.

II. Il n’est peut-être pas si aisé de répondre à ceux qui disent ne faire nul cas des ouvrages écrits en latin ; quoiqu’on ait sujet de s’étonner que des gens qui ne laissent pas de prendre plaisir à des tragédies latines traduites du grec mot pour mot, ne puissent souffrir que l’on traite en leur langue les sujets les plus graves. Car y a-t-il quelqu’un assez ennemi du nom romain pour dédaigner ou rejeter superbement la Médée d’Ennius ou l’Antiope de Pacuvius, et pour oser dire que dans Euripide ces pièces le charment, mais que, traduites en latin, elles choquent son goût ? Il faudra donc, dira-t-il, que je lise les Sénéphèhes de Cécilius, ou l’Andrienne de Térence, plutôt que les deux comédies de Ménandre ? Pour moi, je suis dans des sentiments si différents qu’encore que l’Électre soit admirable dans Sophocle et qu’Attilius l’ait fort mal rendue, je ne laisse pas pourtant de la lire dans Attilius, que, Licinius appelle un écrivain de fer, avec assez de raison, mais qui cependant est un écrivain, et mérite d’être lu. C’est après tout trop de nonchalance ou de vaine délicatesse que de ne vouloir pas jeter les yeux sur nos poëtes.

Pour moi, je ne saurais regarder comme des gens instruits ceux qui n’ont pas la moindre connaissance de nos auteurs. Eh quoi ! nous lisons tout aussi volontiers dans Ennius que dans le grec :

« Plût au ciel que jamais dans les bois du Pélion… »


et nous ne voudrons pas que l’on explique en latin les théories de Platon sur le bien et le bonheur ? De plus, si je n’écris point en simple traducteur, mais si je soutiens les opinions des philosophes que j’approuve, si je mêle mes propres pensées et que je donne un autre tour, un autre ordre aux doctrines que je reproduis, pourquoi préfèrera-t-on les ouvrages grecs à des traités latins écrits élégamment et sans servilité ? Que si l’on prétend que toutes ces matières ont été épuisées par les Grecs, il n’y a plus de raison alors pour lire parmi les Grecs eux-mêmes tous les écrivains qui méritent d’être lus. La doctrine des stoïciens n’est-elle pas tout entière dans Chrysippe ? nous lisons cependant Diogène, Antipater, Mnésarque, Panétius, bien d’autres encore, et, en première ligne, notre ami Posidonius. Est-ce que Théophraste ne nous fait pas grand plaisir, alors même qu’il traite les mêmes sujets qu’Anatole ? Et les épicuriens n’écrivent-ils pas tous les jours avec la plus parfaite liberté sur les matières traitées par Épicure et leurs anciens auteurs ? Que si les Grecs sont lus par les Grecs sur les mêmes sujets