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DES
VRAIS BIENS
ET DES
VRAIS MAUX.
À BRUTUS.

INTRODUCTION.


Cicéron écrivait à Atticus vers le milieu de l’armée 709 : « Les ouvrages que j’ai terminés depuis peu sont dans le genre de ceux où Aristote fait parler différents personnages, en se réservant le droit de juger. C’est ainsi que je viens d’achever cinq livres sur le souverain bien (περὶ τελῶν,) où je fais développer la doctrine d’Épicure par L. Torquatus, celle des Stoïciens par M. Caton, et celle des péripaléticiens par M. Pison. » Il indique encore plus précisément l’objet de ce traité au commencement du second livre de la Divination : « La connaissance des vrais biens et des vrais maux dit-il, étant le fondement de la philosophie, j’ai éclairci cette question dans cinq livres, où l’on peut voir tout ce qui a été dit pour et contre chaque opinion. » Exposer les doctrines les plus accréditées de la philosophie grecque sur la première question de toute la morale, entendue comme elle l’était par l’antiquité, montrer le fort et le faible de chaque système et s’élever peu à peu par l’histoire et la critique au point de vue le plus haut et le plus sage, le plus conforme à la raison et au bon sens à la fois, voilà le but de Cicéron dans ce grand ouvrage philosophique qui suivit les Académiques et précéda les Tusculanes.

Dans le premier livre, après une préface à Brutus sur la nécessité d’exposer la philosophie grecque dans des écrits en langue latine, et généralement sur les études philosophiques, L. Manlius Torquatus expose le système d’Épicure, en présence de C. Valérius Triarius, et de Cicéron, lequel remplit le rôle d’adversaire de Torquatus, qu’il réfute dans le livre suivant. Le troisième, qui s’ouvre par une nouvelle préface à Brutus, et le quatrième sont consacrés à l’exposition et à la critique de la morale stoïcienne. Caton d’Utique la défend, et Cicéron, usant de son droit de juger, la réfute. Enfin le cinquième est réservé à la théorie plus sensée des écoles socratiques, théorie dont Pison se fait l’organe, et que Cicéron apprécie plus qu’il ne la combat, laissant voir pour cette doctrine une préférence que tempère la retenue académique. L’ouvrage se compose donc de trois parties ou dialogues, unis par un lien fort simple : le premier est censé avoir eu lieu dans la maison de campagne de Cicéron près de Cumes, vers la fin de l’année 704 ; le second à Tusculum[1] dans la bibliothèque du jeune Lucullus, qui avait pour tuteur Caton, représentant et organe naturel des opinions stoïciennes. Cicéron transporte le troisième à Athènes, dans les jardins mêmes de l’Académie, vers l’an de Rome 675. C’est M. Pupius Pison, qui en présence d’Atticus, de Q. et de L. Cicéron[2], et à la prière de Marcus, expose le système des Péripatéticiens et de l’ancienne académie.

Quel est le but dernier des actions de l’homme ? la fin légitime de ses désirs ? le bien suprême et parfait ? quis finis bonorum ? C’est la question que se faisaient tous les philosophes anciens. Combien de réponses diverses à cette question unique l’histoire n’a t-elle point recueillies ? et cependant la vérité était ici la clef du bonheur et de la vertu.

Tous les systèmes sans exception avaient la prétention de mener l’homme au bonheur ; rendre la vie heureuse, c’était le but commun des doctrines les plus opposées. L’antiquité convenait que la morale est faite pour nous donner la félicité pure, et que la règle suprême, l’abrégé des devoirs et du bonheur, c’est de vivre conformément à la nature. Mais, lorsqu’il fallait dire en quoi consiste une vie conforme à la nature, l’accord disparaissait, et une incroyable divergence d’opinions se manifestait à l’instant.

  1. On sait que la maison de Tusculum avait appartenu d’abord à Lucullus.
  2. Lucius Cicéron était l’oncle de Marcus et de Quintus.