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CICÉRON.

institutions politiques et militaires, la distribution de ses quartiers, la situation de ses monuments ; en un mot, les noms, les espèces, la destination et les causes de toutes les choses divines et humaines ; vous avez répandu beaucoup de lumière sur les œuvres de nos poètes, et en général sur toute la littérature et la langue latines. Vous avez composé vous-même un poème plein de variété et d’élégance, ou vous employez le jeu de presque tous les rhythmes ; enfin, vous avez mis en beaucoup d’endroits un premier trait de philosophie, qui est bien capable de nous en donner le goût, mais non la science. Vous nous dites, il est vrai, d’une façon assez plausible que les gens instruits aimeraient mieux lire les écrivains originaux, tandis que ceux qui ne seraient pas versés dans les lettres grecques ne voudraient pas même lire nos livres. Mais, je vous le demande, est-ce là une raison sans réplique ? Ne serait-on pas bien plus fondé à croire que les livres latins seraient lus par ceux qui n’entendent pas le grec, et ne seraient nullement méprisés par ceux qui l’entendent ? Pourquoi nos compatriotes, à qui les lettres grecques sont familières, lisent-ils les poètes latins, et ne liraient-ils pas les philosophes ? Est-ce parce qu’ils trouvent du charme dans Ennius, Pacuvius, Accius, et tant d’autres, qui, sans traduire les poètes grecs, se sont accommodés à leur génie ? Mais combien plus de charme ne trouverait-on pas dans les philosophes, si à l’émulation des poètes qui prennent pour modèles Eschyle, Sophocle, Euripide, ils imitaient Platon, Aristote, Théophraste ! Je vois que l’on fait l’éloge de nos orateurs quand ils imitent Hypéride et Démosthène. Pour moi (je veux dire les choses telles qu’elles sont), tandis que l’ambition, les honneurs, le barreau, la politique, et plus encore ma participation au gouvernement de mon pays, m’enlaçaient dans un réseau d’affaires et de devoirs, je renfermais en moi mes connaissances philosophiques ; et pour que le temps ne les ternît point, je les renouvelais, à mes loisirs, par la lecture. Mais aujourd’hui que la fortune m’a frappé d’un coup terrible, et que le fardeau du gouvernement ne pèse plus sur moi, je demande à la philosophie l’adoucissement de ma douleur, et je la regarde comme l’occupation de mes loisirs la plus noble et la plus douce à la fois. Cette occupation sied parfaitement à mon âge ; elle est, plus que toute autre, en harmonie avec ce que je puis avoir fait de louable dans ma vie publique : rien de plus utile pour l’instruction de mon pays ; et quand même ce seraient là des illusions, je ne vois pas quel autre travail je pourrais entreprendre. Brutus, notre excellent ami, qui réunit à un si haut degré tous les mérites, exprime avec tant de perfection la philosophie dans notre langue, que la Grèce elle-même ne saurait souhaiter mieux. Il est de la même école que vous ; car il a entendu quelque temps à Athènes Aristus, frère d’Antiochus, votre maître. Essayez-vous donc, vous aussi, je vous en conjure, dans ce genre de compositions.

IV. J’y réfléchirai, me dit-il ; et en tout cas je vous consulterai. Mais qu’est-ce que j’entends dire de vous ? — À quel sujet ? lui demandai-je. — On prétend que vous abandonnez l’ancienne Académie, et que vous vous faites l’organe de la nouvelle. — Eh quoi ! lui dis-je, il sera permis à Antiochus, notre ami, de retourner d’une nouvelle maison dans l’ancienne, et moi je ne pourrais quitter l’ancienne pour la nouvelle ! Est-ce que toujours la dernière édition n’est pas la plus châtiée et la plus irréprochable ? Et toutefois, le maître d’Antiochus, Philon, un grand esprit, comme vous