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comme un audacieux, un infâme, un pervers, mais comme un Grec léger, un peu flatteur, en un mot, un poète. Ce Grec, cet étranger, devint ami de Pison par hasard, ou plutôt coutre son intention, séduit par ce masque d’austérité qui a trompé la plus puissante et la plus sage des villes. Il ne pouvait rompre une si étroite amitié, et il craignait de passer pour inconstant. Prié, sollicité, forcé même, il lui a adressé beaucoup de petits poèmes composés à son sujet : toutes les dissolutions de Pison, tous ses genres de repas et de fêtes, tous ses adultères enfin y sont décrits dans des vers très délicats ; et, si on le voulait, on pourrait y voir toute sa vie comme dans un miroir fidèle. Je vous en rapporterais bien des morceaux, que plusieurs ont lus ou entendu lire, si je ne craignais que les objets mêmes dont je m’occupe à présent ne fussent trop étrangers au lieu où je parle. D’ailleurs, je ne veux point décrier l’auteur de ces vers. S’il avait été plus heureux dans le choix d’un disciple, peut-être eût-il été plus austère et plus grave ; mais le hasard l’a fait écrire dans un genre tout à fait indigne d’un philosophe ; car si la philosophie doit enseigner, comme on le dit, la vertu, le devoir et l’art de bien vivre, celui qui en fait profession me paraît avoir à soutenir un personnage toujours noble et grave. Mais le hasard avait jeté chez Pison notre Grec, qui se disait philosophe, sans connaître toute l’importance de ce titre ; le même hasard l’a engagé plus avant dans le fangeux commerce de cette brute immonde et lascive. Naguère, après avoir loué mon consulat, ce qui, de la part d’un homme diffamé, était presque un déshonneur pour moi, il s’est avisé de dire : Ce n’est point cette haine qui vous a nui, ce sont vos vers. — Sous ton consulat, Pison, on a été trop sévère pour un poète ou mauvais ou trop franc. — Vous avez écrit : « Que les armes cèdent à la toge ». — Eh bien ? — Voilà ce qui a excité contre vous de si violents orages. — Mais je ne crois pas que l’inscription funèbre, gravée sur le tombeau de la république, lorsque tu étais consul, porte : « Ayez pour bon, ordonnez que Cicéron soit chatié pour avoir fait un vers » ; mais bien, pour avoir puni des coupables.

[30] XXX. Cependant, puisque nous trouvons en toi, non un sévère Aristarque, mais un critique, vrai Phalaris, qui ne se contente pas de noter un vers faible, et qui poursuit le poète à main armée, je suis bien aise de savoir ce que tu blâmes dans ces mots : « Que les armes cèdent à la toge. » — Vous dites, me répond-il, que le plus grand général le cédera à votre toge. —Faut-il donc, âne que tu es, t’apprendre à lire ? Pour cela, il n’est besoin de paroles, mais d’un bâton. La toge dont je parle n’est pas cette toge dont je suis revêtu, ni les armes, le bouclier et l’épée d’un seul général ; mais comme la toge est le symbole de la paix et de la tranquillité, et les armes celui du tumulte et de la guerre, parlant le langage des poètes, j’ai voulu dire que la guerre et le tumulte le céderaient à la paix et au repos. Consulte le poète grec, ton ami ; il reconnaîtra et approuvera cette figure, sans être surpris que tu manques de sens. — Mais, la suite : « Que le laurier cède à la gloire pacifique », vous embarrasse, dit-il. —Moi ! Je te remercie plutôt ; car je serais embarrassé,