Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/198

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l’ardeur qui l’enflamme. Tu auras sur lui l’ascendant d’un homme grave et modéré, sur un homme vain qui court après la gloire, d’un savant sur un ignorant, du beau-père sur le gendre. Avec le ton agréable qui te distingue, doué comme tu l’es du don de la persuasion, formé et perfectionné dans l’école, tu lui diras : Eh ! César, quel si grand plaisir trouves-tu dans ces prières publiques tant de fois décernées et durant tant de jours ; dans ces prières qui abusent les hommes, et que les dieux n’écoutent pas ? car ces dieux, comme l’a dit notre divin Epicure, ne connaissent ni la faveur, ni la colère. Ici, tes raisonnements philosophiques ne le persuaderont point : il verra, sans peine, que les dieux sont et ont été irrités contre toi. Tu passeras à un autre lieu commun ; tu parleras sur le triomphe. Que signifie, lui diras-tu, ce char ? que signifient ces généraux enchaînés qui le précèdent, ces simulacres de villes, ces amas d’or et d’argent, ces lieutenants et ces tribuns à cheval, ces cris des soldats ? que signifie toute cette pompe ? Vains plaisirs, crois-moi, jeux d’enfants, que de rechercher ainsi les applaudissements, de traverser Rome monté sur un char, de vouloir être vu. Rien dans tout cela de solide, rien que tu puisses saisir, que tu puisses rapporter à la volupté des sens. Que ne me prends-tu pour modèle ? J’étais dans une province qui a procuré l’honneur du triomphe à T. Flamininus, à Paul Emile, à Q. Métellus, à T. Didius, et à tant d’autres qui ont brûlé de ce désir frivole ; et voici comme j’en suis revenu. A la porte Esquiline, j’ai foulé aux pieds les lauriers de Macédoine ; avec quinze hommes mal vêtus, je suis arrivé à la porte Célimontane mourant de soif : un de mes affranchis m’y avait loué une maison deux jours auparavant ; et, malgré mon titre, si cette maison ne se fût trouvée vacante, j’aurais campé dans le Champ de Mars. En attendant, César, sans m’embarrasser de tout cet attirail triomphal, mon argent reste et restera chez moi. J’ai porté aussitôt mes comptes au trésor, comme ta loi l’ordonnait, et c’est le seul article que j’en ai suivi. Si l’on te présentait ces comptes, tu verrais que personne ne sut mieux que moi tirer parti de la philosophie. Ils sont rédigés avec tant de goût et de finesse, que le greffier qui les a remis au trésor, après les avoir transcrits, disait tout bas, en se frottant la tête de la main gauche : Voilà bien les comptes ; mais l’argent ? Je ne doute pas, Pison, que par de tels discours tu ne puisses ramener ton gendre, montât-il même sur son char de triomphe.

[26] XXVI. Ame basse, âme de boue, toi qui déshonores la race de ton père, je dirai presque celle de ta mère, tes sentiments sont si lâches, si abjects, si rampants, si sordides, qu’ils ne paraissent pas même dignes de ton aïeul maternel, crieur public à Milan. L. Crassus, le plus sage de nos citoyens, fouilla, pour ainsi dire, les Alpes avec des lances, pour chercher, en un lieu où il n’y avait pas d’ennemi, quelque occasion de triomphe. C. Cotta, homme d’un grand génie, brûla du même désir, sans avoir d’ennemis à combattre. Ni l’un ni l’autre n’a triomphé : ils furent privés de cet honneur, l’un par son collègue, l’autre par la mort. Tu t’es moqué, il y a quelque temps, de M. Pupius, de sa passion pour le triomphe qui, disais-tu, ne fut jamais la tienne. La guerre qu’il avait soutenue était peu