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qui frappe un homme de bien, un homme courageux. Tes Grecs épicuriens le reconnaissent. Que n’as-tu mieux compris le sens de leurs leçons ? jamais tu ne te serais sali de tant d’infamies. Mais des leçons, tu vas en chercher dans les tavernes, parmi les débauchés et les adultères. Suivant ces mêmes philosophes qui font consister le mal dans la douleur et le bien dans le plaisir, le sage, quoique enfermé dans le taureau de Phalaris, et brillé par les flammes, dira que ce traitement est doux, et que son cœur n’en est pas ému. Telle est, disent-ils, la puissance de la vertu, que jamais l’homme de bien ne peut cesser d’être heureux. Qu’est-ce donc que la punition ? qu’est-ce que le supplice ? C’est, à mon avis, ce qui ne peut arriver qu’à un homme coupable : un crime commis, une conscience inquiète et tourmentée, la haine des bons citoyens, la flétrissure d’un sénat équitable, la perte de sa dignité.

[19] XIX. Non, ce n’était pas un supplice que le malheur de Régulus, à qui les Carthaginois firent couper les paupières, qu’ils firent lier dans une machine hérissée de pointes de fer, et mourir à force de veilles ; ni celui de Marius, que l’Italie, qu’il avait sauvée, a vu plongé dans les marais de Minturnes, et que l’Afrique, dont il avait triomphé, a vu jeté sur ses côtes par la tempête. Ce sont là des coups de la fortune, et non les suites d’une faute : c’est le châtiment du crime qui est un supplice. Pour moi, si je vous souhaitais quelque mal, ce que j’ai fait souvent, en quoi les dieux ont exaucé mes prières, je ne vous souhaiterais ni la maladie, ni les tourments, ni la mort. Le poète, en prêtant à Thyeste ces imprécations, ne s’adresse point aux sages, mais au peuple : Puisses-tu, naufragé, tout meurtri de blessures, Voir sortir de tes flancs tes entrailles impures ! Puisses-tu, demeurant aux rochers suspendu, Les teindre d’un sang noir à longs flots répandu ! Certes je ne m’affligerais pas, si telle était ta destinée ; mais ce malheur peut arriver à tous les hommes. M. Marcellus qui a été trois fois consul, qui s’est illustré par son grand courage, par sa tendresse pour les siens et par ses exploits militaires, est mort dans les flots ; mais il vit toujours par sa gloire. Cette mort doit être regardée comme un accident, et non comme une punition. Qu’est-ce donc que la punition, le supplice, les rocs escarpés, les croix ? Le voici. Deux généraux commandent les armées dans les provinces du peuple romain ; on leur donne le titre d’ « imperator ». L’un d’eux a été si abattu par les remords de ses fautes et de ses forfaits, qu’il n’a osé adresser au sénat aucune lettre, ni lui écrire d’une province qui plus que tout autre a été une source de triomphes. Oui, Pison, d’une province où les grands exploits de L. Torquatus, si digne de ses aïeux, lui ont valu le titre d’ « imperator », qu’il vient d’obtenir du sénat sur ma proposition ; d’une province d’où nous avons vu revenir, il y a peu d’années, Cn. Dolabella, C. Curion, M. Lucullus, pour recevoir ici le triomphe le plus mérité ; de cette province, malgré ton titre, pas une seule dépêche n’a été envoyée au sénat. L’autre proconsul a écrit une fois ; on a lu sa lettre, on en a fait le rapport. Grands dieux ! pouvais-je souhaiter que mon ennemi essuyât un affront que n’a jamais essuyé personne, et que le sénat, si facile pour ceux qui ont remporté quelque avantage, et qui les comble d’honneurs aussi extraordinaires par le nombre des jours