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des gens qui ne veulent pas se servir de la force qu’ils possèdent. Mais je n’ai jamais eu le courage de le faire moi-même ; il faut pour cette besogne quelqu’un de très différent de nous.

— Peut-être, remarqua l’autre aristocrate, cela tient-il à ce que nous sommes trop orgueilleux pour lutter.

— Oui, répondit le vieil homme d’État, ce sont les humbles qui luttent.

— Je ne suis pas sûr de suivre tout à fait votre pensée.

— Je veux dire que je suis trop pervers pour combattre. Ce sont les innocents qui tuent, incendient et rompent la paix. Ce sont les enfants qui chargent, cassent et se cognent les uns les autres, et c’est à eux qu’appartient le Royaume des Cieux !

Il n’y avait plus rien à tirer de lui sur ce sujet ; il demeura avec un visage de marbre tourné vers la longue allée qui aboutissait aux grilles du parc. Et voilà que cette allée et cette entrée retentissaient déjà du tumulte triomphal dont il parlait, et des chants des jeunes hommes qui reviennent de la bataille.

— Je fais mes excuses à Herne, dit Julian Archer avec une générosité cordiale. C’est un homme à poigne, j’ai toujours dit qu’il nous fallait en Angleterre un homme à poigne !

— J’ai vu jadis un homme à poigne à l’Olympia, dit Murrel perdu dans ses souvenirs. Je crois qu’on lui faisait souvent des excuses.

— Allons, vous entendez ce que je veux dire. Un homme d’État : un homme qui sait ce qu’il veut.

— Bon, je pense qu’un fou sait aussi ce qu’il veut ; mais un homme d’État devrait savoir un peu ce que veulent les autres.