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faire mouvoir les oreilles. Il tenta de fixer la queue de l’âne aux basques de la jaquette de Sir Léopold Fisher. Mais cette dernière facétie fut plutôt mal accueillie.

— Mon oncle est absurde, dit Ruby à Crook, autour des épaules duquel elle plaçait, le plus sérieusement du monde, un chapelet de saucisses. Pourquoi est-il si fou ?

— Il est Arlequin et vous Colombine, répondit Crook. Je ne suis que le Clown qui débite les vieilles farces.

— Je voudrais que vous soyez Arlequin, dit-elle, et elle abandonna brusquement le chapelet de saucisses.

Quoique le Père Brown connût tous les détails de la mise en scène et eût même provoqué l’enthousiasme de la troupe, en transformant un coussin en bébé de pantomime, il s’assit dans l’auditoire et attendit le lever du rideau avec autant d’impatience qu’un enfant à sa première matinée. Il n’y avait que quelques spectateurs, des parents, un ou deux voisins et les domestiques. Sir Léopold était assis sur le devant, et sa silhouette, encore élargie par sa pelisse, masquait une grande partie de la scène au petit ecclésiastique. Aucun critique d’art n’était là pour nous dire s’il perdit grand’chose. Malgré son aspect chaotique, la pantomime ne fut pourtant pas sans mérite ; il y régnait une fièvre d’improvisation due surtout à Crook, le clown. C’était, en général, un garçon intelligent, mais ce soir-là, il se trouvait inspiré par une omnisciente témérité, par une folie plus sage que le monde,