Page:Cherbuliez - Amours fragiles, 1906.djvu/154

Cette page n’a pas encore été corrigée

savetier raccommodant un soulier qui fait eau. Il avait toujours possédé l’estime, il finit par conquérir l’admiration.

Il touchait au terme de ses efforts, il allait se reposer dans son triomphe ; la fortune avait tourné, le Sud vaincu posait les armes, le général Lee venait de capituler, Washington était en fête. Le soir du 14 avril 1865, Lincoln se rend au théâtre, où on ne le voyait pas souvent ; il voulait prendre sa part de l’allégresse populaire. Il écoutait la pièce en souriant et applaudissait les acteurs du bout des doigts. Un homme se présente subitement dans sa loge, décharge sur lui un pistolet ; la balle l’atteint derrière l’oreille et pénètre dans le cerveau. On se lève de toutes parts, on crie, on court à lui. Le meurtrier réussit à s’échapper ; il s’élance sur la scène, qu’il traverse en brandissant un couteau, et, avant de s’enfuir, il s’écrie d’une voix tragique : Sic semper tyrannis ! Le malheureux s’imaginait qu’il venait de tuer un tyran. Le croyait-il ou faisait il semblant de le croire ? Certaines gens ont la cervelle ainsi faite qu’ils croient tout ce qu’il plaît.

« L’un de vous, messieurs, demandai-je à mes Américains, l’un de vous a-t-il jamais eu l’occasion de rencontrer John Wilkes Booth, et pourriez-vous me dire quel homme c’était ? »