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LE ROI APÉPI

en tout cas un maître tout-puissant, qu’il est inutile de vouloir la contrarier et ridicule de disputer contre elle, qu’au surplus tous les âges ont leurs plaisirs, qu’après avoir vécu tant bien que mal il n’est pas désagréable d’employer quelque dix années à regarder vivre les autres, en riant sous cape de leurs sottises et en se disant : « Je n’en fais plus, mais je les comprends toutes. »

S’il n’en voulait pas à la vieillesse d’avoir blanchi ses abondants cheveux couleur noisette, dont jadis il avait tiré quelque vanité, le marquis pardonnait facilement aux révolutions d’avoir interrompu avant le temps sa carrière. On a toujours vingt-quatre heures pour maudire ses juges ; après avoir soulagé son dépit par quelques épigrammes bien décochées, M. de Miraval s’était bientôt consolé d’un événement qui le condamnait à n’être plus rien dans l’État, mais qui en revanche lui avait rendu son indépendance. La liberté avait toujours été pour lui le plus précieux des biens ; il jugeait que l’homme heureux est celui qui s’appartient et gouverne sa vie à sa façon. C’est pour cela qu’après avoir été marié pendant deux ans il avait résolu de rester veuf. En vain le pressait-on de convoler, il avait répondu comme un peintre célèbre : « Est-il donc si agréable, en rentrant