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Je crois que je l’aimais surtout parce que lui
était de son amour avare à mon endroit.
515Nous, femmes, nous avons, s’il ne vous faut mentir,
en semblable matière étrange fantaisie.
Tout cela qu’il ne nous est point aisé d’avoir,
à grands cris tout le jour nous le réclamerons ;
défendez une chose et nous la désirons ;
520talonnez-nous de près, et alors nous fuirons.
Nous faisons cent façons pour sortir nos denrées.
Grande presse au marché fait chère marchandise,
et à trop bon marché on tient denrée pour vile.
Toute femme le sait pour peu qu’elle soit fine.
525    Mon cinquième mari, Dieu bénisse son âme !
que je pris par amour et non point pour richesse,
il avait été clerc jadis à Oxenford,
avait quitté l’école et prenait pension
chez ma commère, qui habitait notre ville,
530Dieu ait son âme ! Elle avait pour nom Alison.
    Elle savait mon cœur[1] et aussi mes secrets
mieux que notre curé, ainsi m’assiste Dieu !
Pour elle je n’avais nulle chose cachée.
Car mon mari eût-il fait de l’eau contre un mur,
535ou fait chose qui dût mettre en péril sa vie,
à ma commère et à une autre prude femme,
et à ma nièce, à qui je portais grand amour,
je leur aurais conté son secret de tous points.
Et c’est ce que je fis bien souvent, Dieu le sait,
540et qui bien souvent fit monter à son visage
le rouge de la honte, et il se voulait mal
de m’avoir confié un aussi grand secret.
    Et ainsi il advint un jour, en un carême
(j’allais souventes fois visiter ma commère,
545car je ne laissais pas d’aimer à me parer
et à courir ainsi, en mars, avril et mai,
de maison en maison afin d’ouïr nouvelles),
que Janequin, le clerc, Alison ma commère,
et moi, de compagnie nous allâmes aux champs.
550Pendant tout ce carême mon mari[2] fut à Londres ;

  1. « Dit à son oncle son cuer et sa pensée. » Ronc. dans Littré.
  2. Celui-là, c’est seulement le quatrième.