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Et colline et vallon étaient aussi couverts
De superbes gazons, ces manteaux toujours verts ;
Un bûcheron chantait en abattant un chêne,
L’ombre l’interpella de sa voix souveraine :
« Vieux ! te rappelles-tu les traces d’une mer
En ces lieux où surgit l’arbre de Jupiter ? »
Mais le vieux bûcheron : « Si l’arbre séculaire
Fait ici bas un temps d’arrêt,
Ce n’est parmi les mers ; car qu’est-ce que la terre ?
Une forêt ! »

Et puis après mille ans passés, voilà que l’ombre
Aux mêmes lieux descendit sombre.

Et que vit l’Ombre alors ? Encor une cité,
Mais d’ouvriers peuplée. Et pour vitalité
Ayant dépôts, prisons, et marchés et gendarmes,
Et cadavres vivants suant et sang et larmes.
Oh ! le triste tableau ! se dit l’Ombre soudain,
Puis près d’elle avisant un homme sous sa main,
Elle voulut se mettre en quête d’aventure
Du pourquoi, du comment de si mauvais augure
Qui de ces lieux jadis plaine, lac et forêt,
Faisaient maisons de jeux, ou bien maisons de prêt ;
Mais l’homme relevant son front usé de peine :
« Changement dà ! non pas, " dit-il,
« La douleur chaque jour élargit son domaine
Depuis l’an mil. »

« Assez ! » quittant ce lieu dit l’Ombre :
« Sans lendemain la terre est à présent bien sombre
Car tous ses changements ont du sort des humains
Modifié sans cesse les destins :
Mais ce dernier coup de baguette
Est le dernier mot du malheur,
Science et vérité mènent à l’aveuglette
L’homme au temple de la douleur ! »