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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

du château ; il fallait près de dix minutes pour s’y rendre de corridor en corridor. Ambassadeur à Londres, j’avais donné une petite fête à madame de Guiche, alors dans tout l’éclat de sa jeunesse et suivie d’un peuple d’adorateurs ; à Prague, je la trouvai changée, mais l’expression de son visage me plaisait mieux. Sa coiffure lui seyait à ravir : ses cheveux, nattés en petites tresses, comme ceux d’une odalisque ou d’une médaille de Sabine, se festonnaient en bandeau des deux côtés de son front. La duchesse et le duc de Guiche représentaient à Prague la beauté enchaînée à l’adversité.

Madame de Guiche était instruite de ce que j’avais dit au duc de Bordeaux. Elle me raconta qu’on voulait éloigner M. Barrande ; qu’il était question d’appeler des jésuites[1] ; que M. de Damas avait suspendu, mais non abandonné ses desseins.

Il existait un triumvirat composé du duc de Blacas, du baron de Damas et du cardinal de Latil ; ce triumvirat tendait à s’emparer du règne futur en isolant le jeune roi, en l’élevant dans des principes et par des hommes antipathiques à la France. Le reste des habitants du château cabalait contre le triumvirat ; les enfants eux-mêmes étaient à la tête de l’opposition.

  1. À la fin de 1833, après la retraite de M. Barrande, deux jésuites, les Pères Étienne Deplace et Julien Druilhet, furent appelés à Prague et attachés à l’éducation du duc de Bordeaux. Ils avaient occupé l’un et l’autre des postes importants au collège de Saint-Acheul. « Le père Druilhet, dit le marquis de Villeneuve (Mémoires, p. 51), possédait la grâce et l’aménité du langage, le père Deplace, l’art et la vivacité de l’enseignement. » Ils ne restèrent que trois mois à Prague et furent remplacés par l’évêque d’Hermopolis, M. Frayssinous, qui dirigea l’éducation du prince de 1833 à 1838.