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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Je courus de la Vieille chapelle à la cathédrale. Plus petite que celle d’Ulm, elle est plus religieuse et d’un plus beau style. Ses vitraux coloriés l’enténèbrent de cette obscurité propre au recueillement. La blanche chapelle convenait mieux à mes souhaits pour l’innocence de Henri ; la sombre basilique me rendit tout ému pour mon vieux roi Charles.

Peu m’importait l’hôtel dans lequel on y élisait jadis les empereurs, ce qui prouve du moins qu’il y avait des souverains électifs, même des souverains que l’on jugeait. Le dix-huitième article du testament de Charlemagne porte : « Si quelques-uns de nos petits-fils, nés ou à naître, sont accusés, ordonnons qu’on ne leur rase pas la tête, qu’on ne leur crève pas les yeux, qu’on ne leur coupe pas un membre, ou qu’on ne les condamne pas à mort sans bonne discussion et examen. » Je ne sais quel empereur d’Allemagne, déposé, réclama seulement la souveraineté d’un clos de vigne qu’il affectionnait.

À Ratisbonne, jadis fabrique de souverains, on monnayait des empereurs, souvent à bas litre ; ce commerce est tombé : une bataille de Bonaparte et le prince Primat, plat courtisan de notre universel gendarme, n’ont pas ressuscité la cité mourante. Les Regensbourgeois, habillés et crasseux comme le peuple de Paris, n’ont aucune physionomie particulière. La ville, faute d’un assez grand nombre d’habitants, est mélancolique ; l’herbe et le chardon assiègent ses faubourgs : ils auront bientôt haussé leurs plumets et leurs lances sur ses donjons. Kepler, qui a fait tourner la terre, de même que Copernic, repose à jamais à Ratisbonne.