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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

En définitive, mes investigations m’amènent à conclure que l’ancienne société s’enfonce sous elle, qu’il est impossible à quiconque n’est pas chrétien de comprendre la société future poursuivant son cours et satisfaisant à la fois ou l’idée purement républicaine ou l’idée monarchique modifiée. Dans toutes les hypothèses, les améliorations que vous désirez, vous ne les pouvez tirer que de l’Évangile.

Au fond des combinaisons des sectaires actuels, c’est toujours le plagiat, la parodie de l’Évangile, toujours le principe apostolique qu’on retrouve ; ce principe est tellement entré en nous, que nous en usons

    vrier 1854. Ses funérailles eurent lieu presque furtivement, le 1er mars. L’heure en fut avancée par l’autorité qui craignait des troubles ; six ou huit personnes suivaient le corbillard, dont la force armée éloignait la foule. « Le cercueil, raconte M. Blaize (Essai biographique sur M. F. de La Mennais), fut descendu dans une de ces longues et hideuses tranchées où l’on enterre le peuple. Lorsqu’il fut recouvert de terre, le fossoyeur demanda : Faut-il une croix ? M. Barbet répondit : Non. M. de La Mennais avait dit : « On ne mettra rien sur ma fosse. » Pas un mot ne fut prononcé sur la tombe. — Que n’a-t-il été donné à Chateaubriand de vivre assez pour assister son compatriote à l’heure de la mort ? Que serait-il arrivé si l’auteur du Génie du Christianisme avait pu, avec « son ardente foi », dire les paroles suprêmes à l’auteur de l’Essai sur l’indifférence ? Nous savons, par un témoin peu suspect (M. Forgues, Correspondance de Lamennais, Introduction, p. cxviii), que, sept heures avant de rendre le dernier soupir, La Mennais voulut parler, mais que, ne pouvant plus se faire comprendre, il se retourna vers la muraille, avec un mouvement d’impatience découragée. Que se passa-t-il alors dans cette âme, lorsque, séparée des vivants, elle se trouva seule avec elle-même ? Ne lui fut-il pas donné, ainsi qu’elle l’avait souhaité jadis à d’autres, (Correspondance, t. II p. 146) de sonder d’un regard l’abîme, à la lueur de cette lumière pénétrante, inexorable, qui nous apparaît aux derniers moments comme le crépuscule de l’éternité ! C’est le secret de Dieu.