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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Blessé à mort et soutenu sur les bras de ses amis, comme il passait devant son adversaire lui-même blessé, il lui dit : « Souffrez-vous beaucoup, monsieur ? » Armand Carrel était aussi doux qu’intrépide.

Le 22, j’appris trop tard l’accident ; le 23 au matin, je me rendis à Saint-Mandé : les amis de M. Carrel étaient dans la plus extrême inquiétude. Je voulais entrer, mais le chirurgien me fit observer que ma présence pourrait causer au malade une trop vive émotion et faire évanouir la faible lueur d’espérance qu’on avait encore. Je me retirai consterné. Le lendemain 24, lorsque je me disposais à retourner à Saint-Mandé, Hyacinthe, que j’avais envoyé devant moi vint m’apprendre que l’infortuné jeune homme avait expiré à cinq heures et demie, après avoir éprouvé des douleurs atroces : la vie dans toute sa force avait livré un combat désespéré à la mort.

Les funérailles eurent lieu le mardi 26. Le père et le frère de M. Carrel étaient arrivés de Rouen. Je les trouvai renfermés dans une petite chambre avec trois ou quatre des plus intimes compagnons de l’homme dont nous déplorions la perte. Ils m’embrassèrent, et le père de M. Carrel me dit : « Armand aurait été chrétien comme son père, sa mère, ses frères et sœurs : l’aiguille n’avait plus que quelques heures à parcourir pour arriver au même point du cadran. » Je regretterai éternellement de n’avoir pu voir Carrel sur son lit de mort : je n’aurais pas dé-

    Émile de Girardin eut la cuisse traversée et Carrel fut atteint au bas-ventre. Dans la nuit du 24 juillet, il succomba à une péritonite aiguë déterminée par les graves lésions produites par la balle qui avait déchiré les intestins.